Léducation sentimentale rencontre frédéric mme arnoux

26 December 2018

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Corpus : Flaubert, Aragon

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La dédaigneuse impartialité de M. Deslauriers arrive à Paris le jour du dîner. Avant de partir, elle lui laisse une mèche de ses cheveux blancs. Poursuivie par la Vatnaz pour impayé, elle apprend que son nouveau-né est très malade.

Ils marchent sous la tourmente qui les pousse au dévouement, au mensonge, au mal, au ridicule, à l'impuissance ou au désenchantement. Mais, du côté de Paris, la grande route descendait en ligne droite, et des prairies se perdaient au loin, dans les vapeurs de la nuit. Aragon met en scène deux personnages bien distincts de Frédéric et M me Arnoux, à une époque contemporaine de celle de l'auteur, avec un style et une énonciation différents.

Corpus : Flaubert, Aragon - Un jeune homme, Frédéric, rentre chez lui à Nogent.

C'est à l'âge de dix-sept ans, en 1838, que Flaubert achève la rédaction de cette ébauche de fiction autobiographique, qui ne sera publiée qu'en 1901. Pendant les vacances de l'été 1836, il a rencontré Élisa Schlesinger, qui inspirera le personnage de M me Arnoux voir textes suivants. Elle a alors vingt-six ans, il en a quinze. J'allais souvent seul me promener sur la grève. Un jour, le hasard me fit aller vers l'endroit où l'on se baignait. C'était une place, non loin des dernières maisons du village, fréquentée plus spécialement pour cet usage ; hommes et femmes nageaient ensemble, on se déshabillait sur le rivage ou dans sa maison et on laissait son manteau sur le sable. Ce jour-là, une charmante pelisse rouge avec des raies noires était laissée sur le rivage. La marée montait, le rivage était festonné d'écume ; déjà un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l'ôtai pour le placer au loin ; l'étoffe en était moelleuse et légère, c'était un manteau de femme. Apparemment on m'avait vu, car le jour même, au repas de midi, et comme tout le monde mangeait dans une salle commune, à l'auberge où nous étions logés, j'entendis quelqu'un qui me disait : — Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie. Je me retournai ; c'était une jeune femme assise avec son mari à la table voisine. Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet! Comme elle était belle, cette femme! Je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil. Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d'azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher trop d'embonpoint ou plutôt un négligé artistique. Aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c'était une voix modulée, musicale et douce… Elle avait une robe fine, de mousseline blanche, qui laissait voir les contours moelleux de son bras. Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote blanche avec un seul nœud rose ; elle le noua d'une main fine et potelée, une de ces mains dont on rêve longtemps et qu'on brûlerait de baisers. Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu. Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière. Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites. Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. « Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition. Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle? Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit : — Je vous remercie, Monsieur. Leurs yeux se rencontrèrent. Quand ils rentrèrent, M me Arnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une console, éclaira ses cheveux blancs. Ce fut comme un heurt en pleine poitrine. Pour lui cacher cette déception, il se posa par terre à ses genoux, et, prenant ses mains, se mit à lui dire des tendresses. Mon cœur, comme de la poussière, se soulevait derrière vos pas. Vous me faisiez l'effet d'un clair de lune par une nuit d'été, quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini ; et les délices de la chair et de l'âme étaient contenues pour moi dans votre nom que je me répétais, en tâchant de le baiser sur mes lèvres. Je n'imaginais rien au-delà. C'était M me Arnoux telle que vous étiez, avec ses deux enfants, tendre, sérieuse, belle à éblouir et si bonne! Cette image-là effaçait toutes les autres. Est-ce que j'y pensais, seulement! Elle acceptait avec ravissement ces adorations pour la femme qu'elle n'était plus. Frédéric, se grisant par ses paroles, arrivait à croire ce qu'il disait. M me Arnoux, le dos tourné à la lumière, se penchait vers lui. Il sentait sur son front la caresse de son haleine, à travers ses vêtements le contact indécis de tout son corps. Leurs mains se serrèrent ; la pointe de sa bottine s'avançait un peu sous sa robe, et il lui dit, presque défaillant : — La vue de votre pied me trouble. Un mouvement de pudeur la fit se lever. Puis, immobile, et avec l'intonation singulière des somnambules : — À mon âge! Non, non, à quoi sert d'être jeune? Je m'en moque bien! Son visage s'épanouit, et elle voulut savoir s'il se marierait. Il jura que non. Elle y restait, la taille en arrière, la bouche entrouverte, les yeux levés. Tout à coup, elle le repoussa avec un air de désespoir ; et, comme il la suppliait de lui répondre, elle dit en baissant la tête : — J'aurais voulu vous rendre heureux. Frédéric soupçonna M me Arnoux d'être venue pour s'offrir ; et il était repris par une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragé. Cependant, il sentait quelque chose d'inexprimable, une répulsion, et comme l'effroi d'un inceste. Une autre crainte l'arrêta, celle d'en avoir dégoût plus tard. D'ailleurs, quel embarras ce serait! Elle le contemplait, tout émerveillée. Il n'y a que vous! Il n'y a que vous! Elle se rassit ; mais elle observait la pendule, et il continuait à marcher en fumant. Tous les deux ne trouvaient plus rien à se dire. Il y a un moment dans les séparations, où la personne aimée n'est déjà plus avec nous. Enfin, l'aiguille ayant dépassé les vingt-cinq minutes, elle prit son chapeau par les brides, lentement. Je ne vous reverrai jamais! C'était ma dernière démarche de femme. Mon âme ne vous quittera pas. Que toutes les bénédictions du ciel soient sur vous! Et elle le baisa au front, comme une mère. Mais elle parut chercher quelque chose, et lui demanda des ciseaux. Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent. Elle s'en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche. Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. M me Arnoux, sur le trottoir, fit signe d'avancer à un fiacre qui passait. Et ce fut tout. Ce roman brouille toutes les pistes. Aragon parle du « doute perpétuel qui règne sur l'existence des personnages du roman, sur la personnalité du ou des narrateur s , etc. Pour lire ce passage, il suffit de savoir que le narrateur, Geoffroy Gaiffier, avait été quitté par sa femme, Blanche. Longtemps après, dix-huit ans plus tard, elle a réapparu. J'avais un peu bu. J'ai beau la voir, Blanche. Elle m'explique : « Je suis restée très longtemps à t'attendre, Geoff', il faut comprendre. Cette maison noire… nous deux… » De quoi parle-t-elle? Le klaxon a encore appelé, au dehors, parce que c'est un klaxon. Je pourrais demander, qui est-ce? Je pourrais dire, ne t'en va pas sans m'avoir… Blanche dit : « Tu l'entends, tu l'entends? Il a dû tourner toute la soirée comme un fou dans les montagnes. Il est vraiment capable de toutes les folies… » Je la regarde. Elle n'est plus jeune, c'est-à-dire si on compare avec la mémoire… mais si on la compare avec l'oubli… Un visage lisse encore. Voilà la différence : autrefois je n'aurais jamais pensé encore. Qu'est-ce qu'il y a donc dans ses yeux, les mêmes? Comme un regret ou une peur, je ne sais. Mais ce n'est pas de moi qu'elle a peur. Je dis : « Alors, nous allons nous quitter comme ça? » Elle a eu un geste inattendu, levé ce bras nu, ce bras d'enfant, toujours, dont j'ai le soufflé coupé. Elle a porté sa main à sa tête. Elle a arraché ce voile blond, elle a passé les doigts dans les cheveux qui se défont. Mon Dieu, mon Dieu. C'est terrible, comme ça tout d'un coup. Mais jamais elle n'a été plus belle, cela lui donne une autre douceur du visage que la dureté des cheveux noirs et lourds… Elle dit : « tu as des ciseaux… », et ce n'est pas une question. Personne comme Blanche ne fait à la fois la question et la réponse « Tu permets que je t'embrasse? » comme elle disait après l'avoir fait. Les ciseaux… elle sait qu'il y a des ciseaux, ici, dans le tiroir de la desserte, comme il y a Pulchérie, elle me les demande, feint de me les demander avec ce geste agité de la main, de quelqu'un qui ne dispose pas de son temps. Je ne comprends pas. Alors elle les prend elle-même. Elle s'en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche. C'est incroyable, parfaitement insensé, dans un moment pareil, de ne pouvoir faire autrement que de penser à Frédéric Moreau, à M me Arnoux. « Non, — dit Blanche —, ne m'accompagne pas, Geoff', c'est un fou, tu sais… et il a si longtemps attendu… » Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. M me Arnoux sur le trottoir fit signe d'avancer à un fiacre qui passait. Je n'ai pas reconduit Blanche à la porte, je n'ai pas soulevé le rideau de la fenêtre. Je ne lui avais pas demandé, quand elle a dit c'est un fou : « Et tu l'aimes? » Il n'y avait pas besoin. La voiture là-bas démarrait avec une brutalité de fauve. Je ne suis pas si sourd. D'où j'étais, d'ailleurs, dans la pièce, j'ai vu tourner les phares. Et je me suis caché les yeux dans les mains, pour ne plus voir que l'oubli. Les cendres chaudes de l'oubli. Sujet 3 : écriture d'inventionRéécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec M me Arnoux texte 3 , cette fois, sous la forme d'un monologue intérieur de Frédéric, qui dévoilera ses sentiments et ses pensées. Vous resterez fidèle au texte de Flaubert en vous gardant, toutefois, d'en recopier des passages. Pelisse : manteau, doublé ou garni de fourrure. Capote : chapeau de femme, garni de rubans. Potelée : qui a des formes arrondies et pleines. Bandeau : coiffure qui sépare les cheveux au milieu du front, les ramenant sur les côtés du visage. Console : petit support, généralement petite table appuyée à un mur. Fiacre : voiture de louage tirée par un cheval et conduite par un cocher. L'homme qui attend Blanche à l'extérieur. Le narrateur réside chez des amis. Pulchérie a ouvert la porte à Blanche. Le narrateur s'est étonné que Blanche connaisse sa présence. QuestionLe présent corpus est constitué de quatre extraits de fiction en prose du xix e et du xx e siècle. Le texte 1 est tiré des Mémoires d'un fou, fiction autobiographique que Gustave Flaubert a écrite dans sa jeunesse, et qui sera publiée après sa mort, en 1901. Les textes 2 et 3 sont extraits d'un roman du même auteur, publié en 1869, et intitulé L'Éducation sentimentale. Le texte 4, enfin, est un passage du roman d'Aragon intitulé Blanche ou l'Oubli, publié en 1967. De nombreux éléments mettent en évidence le fait que les textes 2 et 4 sont respectivement des réécritures des textes 1 et 3. Il apparaît d'abord que Flaubert s'est inspiré de sa rencontre avec Élisa Schlesinger, relatée dans les Mémoires d'un fou, pour écrire la scène de rencontre entre Frédéric et M me Arnoux dans L'Éducation sentimentale. Les deux passages sont en effet dominés par l'éblouissement éprouvé par un jeune homme à la vue d'une femme mariée. De même, l'expression du coup de foudre est bien différente d'un texte à l'autre : Flaubert substitue à l'exclamation banale « Comme elle était belle, cette femme! » une phrase octosyllabique au rythme régulier, soulignant l'intensité de la vision : « Ce fut comme une apparition. » La place de cet énoncé au début de la séquence indique d'ailleurs la manière dont l'écrivain a cherché à montrer l'importance du regard. On remarque à cet égard que le vêtement « sauvé des eaux », déjà présent dans les Mémoires d'un fou « une charmante pelisse rouge » joue un rôle différent : elle n'est plus le point de départ qui va motiver la rencontre, mais l'objet « transitionnel » qui transforme l'éblouissement initial en rencontre des regards : « Leurs yeux se rencontrèrent. » L'apparence physique de la jeune femme est également comparable dans les deux textes : le nez « grec » devient « droit », ses sourcils « admirablement arqués » deviennent « grands »… La similitude va jusqu'aux vêtements, que l'on reconnaît d'une version à l'autre. Toutefois, alors que le narrateur-personnage du premier texte, énumère sans recul les détails physiques et vestimentaires de la femme admirée, le narrateur de L'Éducation sentimentale, hors du récit, suggère avec distance et ironie la naïveté du jeune amoureux. Ainsi, il donne vie aux « rubans roses » qui « palpitaient au vent », comme un cœur passionné. On voit donc que le texte source n'est qu'un matériau fictionnel, que le romancier Flaubert va remodeler plus tard afin de donner à cette scène un caractère plus condensé, plus intense, plus expressif. Avec le texte 4, extrait de Blanche ou l'Oubli, nous sommes également en présence d'une réécriture, quoique d'un genre différent ; il s'agit d'une transposition moderne d'une scène de L'Éducation sentimentale. Aragon met en scène deux personnages bien distincts de Frédéric et M me Arnoux, à une époque contemporaine de celle de l'auteur, avec un style et une énonciation différents. On reconnaît cependant des éléments thématiques semblables : le personnage masculin retrouve, après une longue séparation, un ancien amour. Geoffroy, comme Frédéric, est surpris par les cheveux blancs de la femme qu'il a aimée : le « heurt en pleine poitrine » reçu par Frédéric fait alors place à un étonnement intériorisé : « C'est terrible, comme ça, tout d'un coup. À l'inverse, la vision de la femme chenue révèle à Geoffroy un amour toujours présent : « jamais elle n'a été plus belle ». De la même façon, le personnage féminin, dans les deux scènes, entreprend de se couper une mèche de cheveux pour l'offrir à l'homme avant de dire adieu. La référence à la scène source est clairement avouée par le narrateur-personnage du roman d'Aragon, lequel cite deux extraits de L'Éducation sentimentale. Mais Blanche est beaucoup plus entreprenante que M me Arnoux : c'est elle qui demande des ciseaux, elle qui demande à Geoffroy de ne pas l'accompagner. Geoffroy, vivant les événements de l'intérieur, se contente de penser, et de mettre à distance, jusqu'à s'en vouloir lui-même « parfaitement insensé, dans un moment pareil, de ne pouvoir faire autrement que de penser à Frédéric Moreau, à M me Arnoux » , le geste théâtral quelque peu stéréotypé du don de cheveux. Aragon ajoute également à la scène un personnage absent dans le texte source, celui qui est figuré métonymiquement par un « klaxon » : l'homme qui attend, dans la voiture, que Blanche descende. Ce personnage « capable de toutes les folies », à l'opposé du passif Geoffroy, laisse entrevoir un avenir à cette femme, et renvoie Geoffroy à sa solitude. Dans L'Éducation sentimentale, le « coup de ciseau » narratif interdit tout prolongement imaginaire : « Et ce fut tout. » M me Arnoux, en quatre monosyllabes, est renvoyée au néant, alors que Geoffroy tente d'enfouir sa douleur sous « les cendres chaudes de l'oubli ». IntroductionSi les poèmes d'Aragon, où se mêlent lyrisme et engagement, ont largement contribué à sa célébrité, son œuvre romanesque en fait également un grand romancier du xx e siècle. Sa trilogie du Monde réel, quoique fortement marquée par son engagement politique, n'en reflète pas moins une vision foisonnante et précise de la société du xx e siècle commençant. Pour autant, l'écrivain, en digne acteur de la génération surréaliste, a aussi cherché à remettre en cause les conventions esthétiques et formelles de la grande « tradition » romanesque du xix e siècle. Ses romans portent la trace de cette démarche iconoclaste. Dans Blanche ou l'Oubli, ouvrage publié en 1967, l'auteur se plaît ainsi à brouiller les pistes du récit, évoquant « le doute perpétuel qui règne sur l'existence des personnages du roman ». Le présent extrait illustre bien ce « doute » : à travers une scène de « dernière vue », le narrateur-personnage, Geoffroy Gaiffier, vit une scène semblable à un passage de L'Éducation sentimentale de Flaubert. Comme M me Arnoux, Blanche est une femme vieillie, qui retrouve l'homme qu'elle a quitté longtemps avant, et se coupe une mèche de cheveux pour lui en faire don, avant de partir pour toujours. Comment cette réécriture, exhibée comme telle par le personnage lui-même, conduit-elle à une réflexion plus large sur l'écriture romanesque? Nous mettrons en évidence, dans un premier temps, les caractéristiques de cette scène de « dernière vue », organisée autour de la mémoire et de l'oubli. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi cette scène révèle l'impuissance et la passivité du héros. Nous étudierons dans un dernier temps les significations de l'intertexte flaubertien. Blanche, la femme aimée hier, et la femme aujourd'huiCette scène de « dernière vue » est vécue à travers la subjectivité du narrateur-personnage, qui, dans un monologue intérieur, se livre à un travail comparatif entre la femme avec qui il a vécu et la femme qui réapparaît dix-huit ans après l'avoir quitté. Cette nouvelle rencontre est complètement organisée autour du modèle initial de la jeune Blanche ; Geoffroy juxtapose chaque fois deux visions concurrentes, comme en témoignent les formules comparatives ainsi que le lexique de la comparaison : « Elle n'est plus jeune, c'est-à-dire si on la compare avec la mémoire… » Chaque partie du corps autrefois aimé est passé au crible de cette mémoire : les yeux sont « les mêmes », le visages est « lisse encore ». » L'adverbe traduit une évaluation et un relativisme qui excluent toute pureté du regard : Blanche est la femme qui ne peut pas être et avoir été. Il n'est pas jusqu'à son attitude qui ne soit mesurée à l'aune de la mémoire : « Mais ce n'est pas de moi qu'elle a peur. » À nouveau, l'adverbe signale une référence au passé, une influence ancienne et perdue, qui donne à cette dernière rencontre les allures d'une douloureuse mise à l'épreuve, que Geoffroy veut mettre à distance en se refusant à céder à l'émotion. L'oubli difficileMémoire et oubli semblent ici se livrer un âpre combat dans l'esprit du personnage masculin, qui recompose, comme malgré lui, la femme de jadis : un « visage lisse », un « bras d'enfant » qui étonne le narrateur, lequel avoue avoir « le souffle coupé » devant ce corps qui ne semble pas avoir souffert du temps qui passe. Tout montre la connaissance encore vivace qu'a Geoffroy de Blanche, dont il retrouve avec une émotion mal contenue les manières, son autoritarisme charmant, qui lui confère une évidente singularité : « Personne comme Blanche ne fait à la fois la question et la réponse. » Ces références attendries sont cependant constamment mises à distance : le lexique de l'émotion est absent, de même que les tournures exclamatives. Comme le suggère le titre, le personnage veut associer Blanche à l'oubli, terme dont on retrouve deux occurrences dans le passage. Pour la première fois, une partie du corps de Blanche est visiblement atteinte par l'âge ; pour la première fois, Geoffroy a l'occasion de voir une différence, qui pourrait faciliter l'oubli. L'adverbe « jamais », placé devant le sujet et le comparatif, accentue l'intensité de cette découverte. Dès lors, la difficulté d'oublier est évidente. L'« autre », figuré de façon métonymique par un « klaxon » appelant « au dehors », pourrait devenir un rival haï, jalousé. Blanche, une femme à reconquérir. Non : cette scène de rencontre, tout en suggérant l'émotion du personnage masculin, en révèle également la pathétique impuissance. Un personnage absent au mondeCette scène est exclusivement racontée à travers le point de vue du personnage masculin, qui vit la scène dans le temps même où il la raconte et la pense. Récit et monologue intérieur se mêlent, donnant l'impression que Geoffroy n'arrive pas à dépasser l'observation et le constat ; comme si chaque vision, chaque parole, ou chaque action de Blanche ne pouvait donner lieu à une réaction, comme si Blanche n'était qu'un fantôme qui n'existait que par rapport au passé. De fait, Geoffroy n'agit jamais, c'est un personnage en creux, spectateur de la scène. De même, c'est Blanche qui lui « explique » ce qu'il y a à comprendre, qui justifie la présence de l'« autre », mais là encore, le héros ne comprend pas. Pas forcément lâche, il semble surtout velléitaire, comme en témoigne l'utilisation des conditionnels, mode de l'irréel ou de l'irréalisé : « Je pourrais demander, qui est-ce? La tierce personne, le « klaxon » furieux, semble être l'opposé du narrateur : un jaloux hyperréactif, « capable de toutes les folies », « fou », qui « a si longtemps attendu… ». Lui, l'ancien mari, prend sans rien dire le rôle du jeune Frédéric de L'Éducation sentimentale, au moment où « sieur Arnoux » hèle son épouse : « Ma femme, es-tu prête? Il semble en fait que le narrateur, devant l'« apparition » de Blanche, est en pleine confusion. Un personnage dans la confusionLa rencontre entre le narrateur et son ancienne épouse est placée sous le signe de la confusion. », mettant d'emblée en doute la réalité de ces retrouvailles. Cette impression de confusion est accentuée par la complexité de l'énonciation : le personnage, narrant au présent ou au passé, peut, dans le temps même de l'action, émettre une pensée rétrospective, exprimer une émotion : « J'avais un peu bu. J'ai beau la voir, Blanche. » À cette complexité s'ajoutent les paroles, rapportées au discours direct, de Blanche, qui donnent une certaine réalité à la scène, mais ne contribuent pas à sa clarté. À travers le filtre incertain du narrateur, tout prend une dimension presque onirique, indéterminée. Les perceptions du personnage sont constamment altérées ; il « cesse à nouveau d'entendre Blanche », se demande « de quoi » ou « de qui » elle parle… Dans sa confusion, Geoffroy va même jusqu'à substituer le réel au romanesque : à deux reprises, il cite clairement deux passages du roman de Flaubert, L'Éducation sentimentale. » Cette troublante mise en abyme fait surgir une réflexion sur le sens même de cette réécriture, d'abord implicite puis clairement avouée. Une transposition moderne d'un passage de L'Éducation sentimentaleEn faisant explicitement référence au roman de Flaubert, le narrateur nous invite à une lecture rétrospective de la scène, pour considérer à quel point ce passage est une réécriture moderne de la scène de dernière rencontre entre Frédéric Moreau et M me Arnoux, dans L'Éducation sentimentale. En effet, le couple de personnages est, dans les deux textes, dans une situation comparable : Geoffroy, à l'instar de Frédéric, revoit une femme aimée, après de nombreuses années. De même, dans les deux versions, la femme se coupe une mèche de cheveux, pour la donner à l'homme avant de partir définitivement. Les choix d'écriture diffèrent cependant : dans le texte d'Aragon, immergé dans la sujectivité du personnage au moyen d'un monologue intérieur, le lecteur est confronté à une langue plus moderne, à la syntaxe heurtée, qui paraît mimer « le flux de la conscience » : « J'ai beau la voir, Blanche. » Cette scène ne serait-elle, au fond, qu'un habile pastiche d'un classique de la littérature du xix esiècle, un exercice de style à la Queneau? Certes, sans avoir lu l'intégralité du roman, il est difficile de connaître précisément les enjeux de ce passage dans l'économie de l'œuvre. Toutefois, les éléments mêmes d'explicitation de l'intertexte — citations du roman en italique, références à Frédéric et M me Arnoux — nous écartent de l'hypothèse purement ludique : le narrateur-personnage, en exhibant le modèle, le met dans le même temps à distance, offrant ainsi une intensité particulière à la scène. L'intertexte, masque de l'émotion et révélateur d'une faillite amoureuseLes deux citations de L'Éducation sentimentale qui s'insèrent dans la scène ne sont pas placées à des moments anodins et revêtent une fonction un peu différente. La première surgit dans l'esprit du narrateur au moment où Blanche se coupe une mèche de cheveux. Moment quelque peu théâtral, que Geoffroy élude — au sens narratif de « faire une ellipse » — en lui substituant un équivalent romanesque existant : « … Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent. » En révélant l'existence de ce « palimpseste » littéraire, le personnage vise à réduire le geste de Blanche à un cliché, à le dépouiller de sa charge émotionnelle. Pourtant, Geoffroy reconnaît l'intensité dramatique de l'instant et semble s'en vouloir : « C'est incroyable, parfaitement insensé, dans un moment pareil… » Cette volonté de mise à distance du texte source est d'ailleurs déjà perceptible au moment où Blanche défait ses cheveux. Dès lors, l'intertexte agit à la fois comme un masque émotionnel et un révélateur du rapport du personnage avec le réel. Cette fonction s'affirme avec la seconde citation. Là encore, le narrateur procède par ellipse et ne mentionne pas le moment où l'héroïne sort. Cependant, la référence revêt plutôt la fonction d'un modèle, d'un « patron », dont le personnage se départit, comme pour mieux montrer son incapacité d'agir, comme pour mieux exhiber son échec, et la faillite du sentiment amoureux : « Je n'ai pas reconduit Blanche à la porte, je n'ai pas soulevé le rideau de la fenêtre. » Le passé composé, signe d'un retour sur une action déjà accomplie, souligne ici l'amertume d'un personnage qui, déjà, dresse un bilan désastreux de cette dernière rencontre avec Blanche. Cependant, l'utilisation somme toute assez complexe de l'intertexte — à la fois implicite et explicite — conduit à une réflexion plus générale sur le genre romanesque lui-même. Une interrogation sur le roman : mémoire et mémoire littéraireD'emblée, il semble que le narrateur nous emmène sur des pistes incertaines, en mettant en question l'existence même de Blanche : « Est-ce que je n'ai pas rêvé tout ça? » Au fond, Blanche est, au même titre que M me Arnoux, un personnage romanesque, dont l'existence n'est pas plus avérée. Dès lors, Blanche, dont le nom évoque l'apparition songeons aux « dames blanches » qui peuplent les légendes populaires , ne serait-elle pas, au sens propre cette fois, une « apparition »? De même, l'enchâssement d'éléments romanesques dans cette scène « réelle » — c'est-à-dire dont on doit accepter, par convention, la réalité — contribue à l'effet de brouillage qui domine, particulièrement quand surgit la seconde citation : de qui émane-t-elle? Dès lors, la mise en abyme devient métaphore de l'écriture romanesque. Ainsi, la scène est organisée autour des notions de mémoire et de modèle préexistant : Blanche jeune, matrice à laquelle Blanche vieillie tente de se substituer, peut symboliser la complexité à faire exister un personnage romanesque, à lui donner une légitimité, quand une figure similaire existe déjà. Comment susciter l'émotion quand tout semble avoir été dit? Ce faisant, l'écrivain parle d'une double mémoire : mémoire émotionnelle, qui fige le personnage de Geoffroy dans une vision de l'être aimé qu'il ne parvient pas à faire évoluer ; mémoire littéraire, plus dynamique celle-ci, qui, dans un mouvement continuel d'identification et de différenciation avec le modèle, nourrit une scène d'où l'émotion n'est pas absente. ConclusionCette scène de « dernière vue » a donc l'allure d'une scène de déjà-vu : à travers un monologue intérieur, le narrateur-personnage nous donne à lire une situation qui fait clairement écho à une scène de L'Éducation sentimentale. On voit toutefois que cette réécriture n'a rien de gratuit et dépasse la simple transposition moderne. Elle interroge en effet des thèmes qui traversent la littérature, ceux du temps, de la mémoire et de l'oubli, pour dresser, par le biais de Geoffroy dont l'antihéroïsme est patent, un amer constat sur la faillite du sentiment amoureux, et la difficulté d'oubli. Plus largement, l'intertexte flaubertien peut nous conduire à percevoir ce passage comme une réflexion sur l'écriture romanesque. Aragon, à cet égard, illustre bien le propos de Genette, selon lequel toute œuvre est plus ou moins sensiblement en relation avec un autre texte. Mais l'extrait montre bien que le « palimpseste » du texte de Flaubert, loin de réduire l'intérêt de la scène, lui donne une profondeur manifeste ; le dialogue subtil auquel se livre l'écrivain, par le biais de son personnage, avec un autre grand romancier, ouvre une réflexion stimulante sur la question de la mémoire littéraire, et sur l'évidente immortalité de l'œuvre d'art. IntroductionUne œuvre littéraire se crée rarement ex nihilo. Elle est toujours, plus ou moins explicitement, de manière plus ou moins diffuse, le produit d'une ou de plusieurs œuvres littéraires. L'écriture s'appuie, de diverses façons, sur des modèles, textes fondateurs, mythes, ou encore œuvres contemporaines. À cet égard, des récits tels que l' Odyssée d'Homère ont connu une descendance indénombrable, et parmi ces enfants, il en est qui le disputent en qualité avec l'œuvre source. Pour autant, le fait de réécrire consiste-t-il à dépasser son modèle? Il s'agit de s'interroger sur les liens qui unissent l'œuvre originale et sa réécriture. Cette question conduit à réfléchir sur la polysémie des termes : un modèle peut n'être qu'un simple « moule » littéraire, dans lequel l'écrivain ambitionne de refondre une œuvre ; il peut être également un idéal à atteindre, ou à dépasser. Ce verbe, lui aussi, est ambivalent : si dépasser, c'est surpasser, alors l'œuvre source devient une « rivale » ; si c'est, plus largement, « passer outre », « aller au-delà », le texte original s'envisage alors comme un matériau pour créer à son tour. Nous nous efforcerons donc de ne pas faire abstraction de la richesse des enjeux de la question : d'abord, nous verrons en quoi la réécriture peut chercher à surpasser son modèle. Ensuite, nous verrons que la démarche de réécriture n'a pas nécessairement vocation à faire mieux que l'œuvre de référence. Enfin, nous verrons que la véritable réécriture est celle qui devient, à son tour, œuvre littéraire. Brouillons d'écrivains, notes, œuvres de jeunesse : un matériau à améliorerD'une certaine manière, de nombreux écrivains se livrent à des réécritures de leurs propres créations. Imparfaites, improvisées, rédigées dans l'urgence, elle peuvent constituer un matériau thématique que l'écrivain reprend, reforge, refond dans une œuvre souvent plus réfléchie et plus ambitieuse. Pour Zola, cette démarche de création structure même son travail d'écrivain. En véritable journaliste et enquêteur, il note à la hâte des phrases entendues ici ou là, les retravaille et les insère dans son roman, pour donner à une scène tout son caractère de vérité. Il s'agit bien ici de partir d'un modèle d'écriture, d'une « genèse », pour l'améliorer. Toutefois, cette démarche n'est pas toujours pensée dès la première version. Baudelaire, par exemple, écrit d'abord un poème versifié intitulé « La chevelure », avant de réécrire son équivalent en prose, « Un hémisphère dans une chevelure ». Il y a dans cette transposition une volonté manifeste de mieux faire ; pour le poète en quête de perfection, le poème en prose devient « la forme par excellence de la poésie moderne et urbaine ». Cette recherche d'amélioration se retrouve chez Flaubert, qui, dans une fiction autobiographique de jeunesse intitulée Mémoires d'un fou, évoque sa rencontre avec une femme mariée nommée Élisa Schlesinger. Trente ans plus tard, Flaubert en reprend les éléments principaux pour son roman L'Éducation sentimentale. Si l'hypotexte n'avait pas pour vocation première d'être réécrit, il est évident que sa reprise dans une fiction romanesque a gagné nettement en qualité littéraire, en expressivité : le récit au premier degré d'une expérience personnelle est devenu une scène emblématique dans laquelle tous les emportements et la naïveté de l'adolescence sont mis subtilement à distance par un narrateur plus lucide. Se dépasser peut donc être une motivation d'écrivain. Mais celui-ci peut également chercher à surpasser, en les réécrivant, des textes dont il n'est pas l'auteur. Un modèle littéraire notoire peut susciter une émulationCertaines œuvres, plus que d'autres, par leur richesse herméneutique, par leur polysémie, par leur caractère controversé, par leur universalité, sont abondamment réécrits. S'il est difficile de connaître les intentions qui président aux choix de l'écrivain, on peut parfois deviner, quand un modèle et sa réécriture sont d'une même époque, qu'il y a forcément volonté de la part du « réécrivain » de surpasser le texte de référence. Ainsi, quand Molière reprend le Don Juan de Tirso de Molina, c'est à l'évidence pour enrichir, donc surpasser la version du moine espagnol : Molière confère à son héros une ambiguïté dont son modèle est dépourvu. Voltaire, quant à lui, déguise plus mal son ambition de rivaliser avec les modèles précédents quand il écrit sa première tragédie, Œdipe. Dans une de ses nombreuses lettres contenant la critique de cette pièce, il écrit : « Le respect que j'ai pour l'Antiquité de Sophocle et pour le mérite de Corneille ne m'aveuglera pas sur leurs défauts » ; manière élégante de dire implicitement que sa version s'est attachée à gommer tous ceux qu'il a relevés… Pourtant, même si la réécriture de Voltaire eut, en son temps, un réel succès, elle n'a pas marqué la postérité : l' Œdipe de Sophocle reste encore un modèle et une référence ; Voltaire, lui, reste connu pour des œuvres qu'il jugeait parfois mineures il parle de Candide comme d'une « coïonnerie » , mais dans lesquelles il utilise des modèles littéraires sans volonté de compétition. De fait, le désir de faire mieux que l'œuvre réécrite ne saurait être au cœur de la démarche créative : ce n'est pas la vocation de la littérature. Le modèle peut être un motif littéraire ou un style à imiter ou à détourner plaisammentLe texte littéraire peut constituer un modèle au sens de « référence », que certains écrivains s'emploient à imiter pour le seul plaisir du jeu, ou encore pour forger leur propre style, à l'instar des apprentis peintres qui forment leur art en copiant les œuvres des grands maîtres. Marcel Proust a d'ailleurs clairement revendiqué l'intérêt qu'il y avait à pasticher un auteur, et s'est lui-même amusé à cet exercice, en imitant des écrivains célèbres comme Balzac ou les Goncourt. Ce plaisir de raconter « à la manière de… » implique cependant une connaissance du modèle ; le pastiche n'a pas réellement d'intérêt pour le lecteur si le texte imité n'est pas connu de celui-ci. D'ailleurs, ce qui a forgé la postérité de Proust, ce ne sont pas ses habiles mais anecdotiques Pastiches et mélanges, mais bien À la recherche du temps perdu… que nombre d'auteurs se sont employés par la suite à pasticher à leur tour! Ainsi, bien loin de chercher à surpasser son modèle, le pastiche en reconnaît la notoriété et l'autorité implicites ; caricaturant les « tics » d'écriture d'un écrivain, il suscite certes parfois le rire, mais, dans le même temps, il met en évidence l'existence d'un style. Le pastiche constitue donc le plus souvent une forme d'hommage. La parodie, assez proche du pastiche dans ses intentions, a un rapport cependant différent avec son modèle. Elle affirme en effet sa visée ludique à travers le détournement comique du texte source. Cette forme de travestissement est très en vogue aux xvii e et xviii e siècles. Peut-être cherche-t-elle, dans une époque dominée par un idéal de perfection et de beauté, à désacraliser la littérature, à démythifier des modèles esthétiques, en proposant des versions comiques de « grands » textes. Ainsi, Scarron et son Virgile travesti, puis Marivaux et son Télémaque travesti, se plaisent à jouer des contrastes burlesques entre un style caractéristique de la littérature héroïque et des situations triviales. L'un comme l'autre aiment non pas à se valoriser par rapport au modèle homérique — ou celui de Fénelon —, mais plutôt à dégrader plaisamment le texte source, connu par un large lectorat. L'autorité du modèle est toutefois, par ce biais, souvent contestée ou écornée, ce qui n'est pas le cas dans certaines formes de réécriture, pour lesquelles le modèle est au contraire une référence dont il faut conserver l'esprit. Le texte source peut être une référence dont on veut préserver l'autoritéL'écrivain peut se mettre au service du texte qui lui sert de modèle. C'est le cas du traducteur, qui s'efforce de restituer le plus fidèlement possible l'esprit du texte sans en trahir la lettre. Il est ainsi intéressant de comparer différentes traductions, selon les époques, d'un même texte étranger, qui confirment l'idée, s'il en était besoin, qu'une langue véhicule tout un système de valeurs et un contexte historique. Les pièces de Shakespeare, par exemple, sont traduites par François-Victor Hugo dans une langue à la fois outrée et précieuse, une langue qui porte bien encore les marques d'un romantisme pas encore éteint. Les traductions de Déprats, en revanche, témoignent d'une volonté de restituer l'oralité et la vivacité de la langue du dramaturge anglais. Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a pas de « vérité » de la traduction, mais juste le souci de se rapprocher au mieux du modèle, de le servir, sans se servir. Certaines œuvres, particulièrement complexes à traduire, nécessitent un véritable travail de réécriture de la part du traducteur. Comment restituer la langue de Joyce et son Ulysse, avec ses mots valises, ses sonorités poétiques, ses inventions langagières intraduisibles, ses styles différents d'un chapitre à l'autre? La traductrice Tiphaine Samoyault fait une véritable réécriture de l'œuvre en créant des néologismes ou des mots valises, tels que les voix « bronzedorées » des sirènes, ou le verbe « glouglousser ». « Traducteur, traître », dit l'adage. Sans doute, mais dans la plupart des cas, la trahison est au service du sens et de la forme, non pour se valoriser par rapport au modèle. De la même façon, quand Fénelon fait une continuation de l' Odyssée, il ne cherche pas à surpasser le texte fondateur, mais simplement à combler une ellipse narrative laissée par Homère — le retour de Télémaque vers Ithaque —, dans le but de rédiger un roman didactique afin d'instruire le petit-fils de Louis XIV. Le modèle prend ici encore un nouveau sens, celui de référence morale : l' Odyssée, au xvii e siècle, donne à voir des héros exemplaires : Télémaque, modèle de piété filiale, Ulysse, chantre de la fidélité… Fénelon ne fait qu'extrapoler, à partir de personnages positifs, qui peuplent déjà l'imaginaire de son jeune élève. Ainsi, le texte réécrit peut n'avoir qu'une valeur de support. Mais la véritable réécriture n'est-elle pas un « dépassement » du modèle, qui acquiert son autonomie? L'imitation et la parodie peuvent être créatricesLa reprise d'un modèle littéraire peut donner lieu à de véritables créations, qui font œuvre. À la Renaissance, cette démarche d'imitation est même revendiquée par les artistes. Les poètes de la Pléiade se réclament de la poésie des Anciens ou de Pétrarque, sans pour autant céder à l'imitation servile ou au plagiat. Du Bellay, dans Défense et Illustration de la langue française, affirme la nécessité d'une « longue et diligente imitation », Émile Faguet emploie le terme d'« innutrition » pour définir une écriture dont le style est irrigué par la culture antique et la Renaissance italienne. De nombreux sonnets de Ronsard et de ses contemporains reprennent ainsi ouvertement des figures de la passion amoureuse, telles que l'antithèse pour exprimer les paradoxes de l'état amoureux, quand ce ne sont pas des topoï, comme celui de « la belle matineuse », dont le modèle est un sonnet écrit par un poète italien. Cette démarche d'imitation est incontestablement d'une grande fécondité, et a considérablement enrichi la littérature. On songe ici à La Fontaine, qui « chante les héros dont Ésope est le père », mais dont les Fables sont des créations inspirées, intrinsèquement bonnes. Même les détournements parodiques, lorsqu'ils sont intégrés à une œuvre plus large, ou quand ils irriguent subtilement le récit, deviennent autant d'éléments d'édification d'une création personnelle et singulière. Dans Gargantua, Rabelais emprunte ainsi souvent à la littérature épique, pour décrire notamment sur le mode burlesque la guerre entre Grangousier et les Pichrocoles. Dans ce cas, le modèle littéraire n'a pas vraiment besoin d'être précisément connu pour légitimer la parodie ; il s'agit surtout pour l'auteur de créer une geste héroïque nouvelle, valant pour elle-même. De même, les contes philosophiques de Voltaire puisent leur inspiration dans des modèles génériques connus : conte merveilleux, roman sentimental… Mais le pastiche ou la parodie ne sont pas ici une fin en soi ; ce sont plutôt des moyens pour servir une argumentation. La réécriture peut, en effet, nourrir une vision singulière du monde. Les réécritures nourrissent une vision singulière du mondeLa plupart des grandes œuvres « absorbent » les matrices littéraires, pour devenir créations à part entière. La vision de l'œuvre source peut alors nourrir la réécriture, qui construit à son tour sa vision propre. Un roi sans divertissement, roman de Giono organisé autour du personnage énigmatique de Langlois, emprunte par exemple son titre à un fragment des Pensées de Pascal : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. » De fait, le destin tragique de Langlois, « Roi » confronté au Mal, qui se suicide dans un paysage neigeux, et la phrase de conclusion, reprenant la citation de Pascal sous une forme interrogative, nous conforte dans l'idée que l'œuvre de Giono est nourrie d'une vision pascalienne du monde. Pour autant, la polyphonie du récit, la puissance de la nature, le traitement de la violence, disent toute la richesse du monde de Giono, et non de celui du philosophe du xvii e siècle. Dans le même ordre d'idées, quand Zola reprend le modèle tragique de Phèdre pour son roman La Curée, c'est pour imposer une vision du monde très différente de celle de Racine. Comme dans la tragédie source, la deuxième femme du personnage principal est amoureuse de son beau-fils, issu d'un premier mariage. Cependant, la liaison est consommée, acceptée par ledit beau-fils, et même par le mari! Cette profonde modification de la trame tragique traduit la dégradation des valeurs sous le Second Empire, dans une société mue par le seul désir de profit et de possession. Même quand la réécriture est clairement assumée comme telle, il ne s'agit pas forcément d'un simple hommage au modèle. Dans Blanche ou l'Oubli, une scène fait ainsi explicitement référence à L'Éducation sentimentale. On perçoit bien, cependant, à travers des citations du roman de Flaubert, à travers un dialogue fécond et parfois ludique conduisant le lecteur à reconnaître les similitudes et les différences, que la réécriture est ici à l'œuvre non seulement pour déployer une vision du monde, mais aussi pour interroger plus généralement la création littéraire. ConclusionSi le désir de faire mieux, de surpasser le modèle peut susciter le désir de réécriture, il semble cependant que cette motivation ne soit pas centrale dans le champ de la littérature. L'écrivain a le plus souvent le désir de se surpasser lui-même plutôt que de surpasser les autres. Certes, l'écriture est parfois un jeu, et la volonté de montrer sa virtuosité d'écrivain n'est pas toujours étrangère au plaisant exercice du pastiche ou de la parodie, même s'il ne s'agit pas de chercher à rivaliser avec le modèle. Cependant, réécrire, ce n'est pas forcément percevoir le modèle comme un seuil à atteindre, à imiter ou à surpasser : réécrire, quand on est soi-même artiste et non copiste, c'est avant tout faire autre chose, dire autre chose, s'inspirer, mais être inspiré, réinventer, utiliser une matrice littéraire pour donner à entendre une voix nouvelle. Irriguée par son modèle, une réécriture ne se perçoit pas comme un pâle avatar, mais au contraire comme un univers enrichi par des mondes antérieurs. Quoi qu'il en soit, qu'elle cherche ou non à dépasser son modèle, toute réécriture, assumée comme telle, lui reconnnaît implicitement une dette. Sans le modèle, pas de réécriture, même si cette dernière prétend lui être supérieure, et même si celle-ci devient à son tour modèle, hypotexte fécond dans un domaine où toute création, au fond, est une réponse ou un écho à une création antérieure. Sujet 3 : écriture d'inventionElle vient de poser son chapeau. La voici éclairée par la lampe… Mon Dieu! Que sont devenus ses magnifiques cheveux noirs, qu'elle savait autrefois si bien mettre en valeur? « Ô beaux cheveux d'argent mignonnement retors… » Pourquoi, ne puis-je m'empêcher à ce contre-blason que du Bellay écrit à une vieille prostituée romaine? M me Arnoux est encore belle, et ce n'est pas une putain, loin s'en faut. Mais il est vrai que je suis déçu. Il a vieilli, mon cher amour, et le malheur, c'est que je n'étais pas auprès d'elle, ces vingt-sept dernières années, pour voir ses cheveux blanchir peu à peu. Quelle tristesse… Je n'avais moi-même alors que dix-huit ans quand je l'ai vue pour la première fois… Allons, Frédéric, reprends-toi. Elle est là, devant toi, guettant la moindre de tes réactions… Tu dois faire comme si ta passion n'avait pas pris une ride. Je luis décris l'être qu'elle était pour moi : un idéal, une déesse, une femme inaccessible et intouchable, en somme. Je ne l'ai jamais touchée, d'ailleurs… Je m'entends employer un terme étrange : « extrahumaine » ; eh bien, va pour « extrahumaine »! Maintenant, les mots s'emballent, et dans le même temps, son visage s'apanouit. Elle fait semblant d'oublier que la femme dont je parle n'existe plus. Mais plus elle semble boire avec délice mes paroles, plus, moi-même, je me sens bercé par la musique de mon propre discours. Je retrouve l'être chéri, j'ai l'impression d'avoir trente ans de moins. D'ailleurs, elle s'est rapprochée de moi, et je ne sens plus que son souffle et ses vêtements qui se frottent doucement contre moi. Un vertige sensuel m'assaille. Je m'entends alors lui dire : « La vue de votre pied me trouble. » Que m'a-t-il donc pris? J'ai perdu le contrôle! Comment cette femme, dont je pourrais épouser la fille, peut-elle encore produire cet effet sur moi? Elle se sent aimée, ne regrette pas d'être âgée — moi je regrette un peu, quand même —, évoque d'autres femmes qui sont peut-être venues ici. J'aime ce plaisir qu'elle a de se sentir aimée de moi. J'aime ses questions que ma mère aurait pu poser, quoique pour des raisons différentes : « Vous marierez-vous? » Je lui réponds par la négative, j'ajoute même : « À cause de vous. » Pour donner plus de sincérité à mon propos, je la prends dans mes bras. J'ai presque envie de croire à ce que je dis et à ce que je fais. En tout cas, il est certain que je veux lui plaire, lui complaire, avant qu'elle ne me fasse ses adieux… La voici qui baisse maintenant la tête, avec un air de petite fille, pour me dire qu'elle aurait voulu me rendre heureux! N'est-elle pas en train de me dire qu'elle est prête à se donner à moi? Comme j'ai soudain envie d'elle! Mais : le bateau, l'Andalouse, ce portrait d'elle, le ciel bleu, ce visage délicat, ses cheveux noirs, noirs, noirs… Non, impossible. Pas avec M me Arnoux. » Regarde, tu n'arrives même pas à l'appeler par son prénom en pensée… J'ai presque envie de vomir… J'ai honte de mon désir. Ne rien toucher de cette image, ne rien salir. Imagine-toi avec elle… « Ô beaux cheveux d'argent mignonnement retors… » Vite, une cigarette! C'est évident, je ne peux plus la toucher. Alors, qu'allons-nous nous dire maintenant que j'ai mis nos désirs en sourdine? Elle m'idéalise pour ma délicatesse, « Il n'y a que vous, dit-elle… » Mais, pour moi, il n'y a même plus vous… Qu'allons-nous nous dire? Comme le temps me paraît long! Chaque coup de carillon se détache. M me Arnoux m'annonce qu'elle part dans un quart d'heure. J'ai envie qu'elle s'en aille tout de suite. Je voudrais que cette histoire se termine. Nous ne somme pas dans un roman à l'eau de rose, avec des dialogues sans points de suspension, et puis des éclats de douleur au moment du départ. Non, nous sommes des êtres de chair. Est-ce que je peux lui dire exactement ce que je ressens? Est-ce que je peux lui dire : « Je vous vénère, mais je voudrais que vous partiez tout de suite »? Étrange, ce temps qui soudain me paraît infini, alors que les années qui ont passé sans l'être que tu dis chérir le plus au monde semblent avoir filé comme le vent… Faillite. Mon amour a vieilli… Vingt-cinq minutes ont passé, là… La voilà qui se lève. Elle me dit des choses passionnées soudain, des mots de théâtre : « Mon âme ne vous quittera pas. Je me sens comme absent… Mais que cherche-t-elle? Dois-je ricaner de la théâtralité du geste? Elle appelle un fiacre, agite sa petite main de laquelle j'avais tant rêvé autrefois. Allez, Frédéric, referme la fenêtre… © rue des écoles Index actualités Journal d'information en ligne, Le Monde. Découvrez chaque jour toute l'info en direct de la politique à l'économie en passant par le sport et la météo sur Le Monde.
En 1864, le romancier est condamné léducation sentimentale rencontre frédéric mme arnoux outrage aux bonnes mœurs. D'ailleurs, elle s'est rapprochée de moi, et je ne sens plus que son souffle et ses vêtements qui se frottent doucement contre moi. Puis, sincere, et avec l'intonation singulière des somnambules : - A mon âge. Marcel Proust a d'ailleurs clairement revendiqué l'intérêt qu'il y avait à pasticher un auteur, et s'est lui-même amusé à cet exercice, en imitant des écrivains célèbres comme Balzac ou les Goncourt. Nous ne somme pas dans un roman à l'eau de rose, avec des dialogues sans points de suspension, et puis des éclats de douleur au moment du départ. De 1849 à 1852, il voyage en Orient avec son ami. Au chapitre 2 de la première partie, il retrouve son ami de collège, Charles Deslauriers, venu le voir inopinément à solo à 100 km de Paris. La scène que nous allons étudier se situe au tout début du roman et nous présente la rencontre entre Frédéric Moreau et Marie Arnoux. Frédéric baissa la tête. Réécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux texte 3, cette fois, custodes la forme dun 28 févr 2014. Sans doute, mais dans la plupart des cas, la trahison est au service du sens et de la forme, non pour se valoriser par rapport au modèle.

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