Rencontres egyptiennes

02 January 2019

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Dans quelques endroits, Sesoosis avait fait élever sa propre statue, qui le représentait tenant l'arc et la lance ; elle était de quatre palmes plus haute que la taille naturelle de ce roi, laquelle était de quatre coudées. Éducation d'Achille 357 III. Achille n'est point présent ; mais, à partir du moment où le combat est engagé entre Héphæstos et le Xanthe, il n'est pas question d'Achille non plus dans Homère.

Nous ne savons si Pindare est l'auteur de cette fiction ; mais qu'il faille l'attribuer à ce poète, ou au fonds commun des légendes mythologiques, on se rend à peu près compte de quel travail d'imagination elle est sortie. Voir sur la représentation des marais par l'art antique Stephani, Compte r. Γράμματα δ´ ἐπ´ ὀλίγον διδάσκουσιν οὐχ ἅπαντες, ἀλλ´ οἱ τὰς τέχνας μεταχειριζόμενοι μάλιστα. I like what you, Prof.

exposer - Fernanda Lemos Thank you very much Charles for this excellent collection!

Comparaison entre la peinture antique et les Tableaux de Philostrate. La critique d'art chez les anciens. L'ecphrasis ou description des œuvres d'art dans l'antiquité. Chœur de femmes 353 II. Éducation d'Achille 357 III. Les Centaurides 364 IV. Arrhichion 379 VIL Antiloque 382 VIII. Le Mêlés 388 IX. Penthée 393 563 X. Ajax ou les Gyres 412 XIV. La Thessalie 415 XV. Glaukos, dieu marin 429 XVI. Les Îles 432 XVIII. Le Cyclope 444 XIX. Phorbas ou les Phlégyens 449 XX. Héraklès parmi les Pygmées 462 XXIII. Héraklès furieux 465 XXIV. Funérailles d'Abdère 475 XXVI. Présents d'hospitalité 478 XXVII. Naissance d'Athéna 480 XXVllï. Les Toiles 485 XXIX. Σκιάν τε γὰρ ἀποφαίνει καὶ βλέμμα γινώσκει ἄλλο μὲν τοῦ μεμηνότος, ἄλλο δὲ τοῦ ἀλγοῦντος ἢ χαίροντος. Si l'on voulait parler avec subtilité, on dirait que la peinture est une invention' des dieux, en songeant aux différents aspects de la terre dont les prairies sont comme peintes par les saisons, et à tout ce que nous voyons dans le ciel. Mais, pour remonter sérieusement à l'origine de l'art, l'imitation est une invention des plus anciennes, du même âge que la nature elle-même. Nous en devons la découverte à des hommes habiles qui l'appelèrent tantôt peinture et tantôt plastique. La plastique même se divise en plusieurs genres : car, imiter avec l'airain, polir le Lygdos ou le Paros, travailler l'ivoire, tout cela rentre dans la plastique, sans compter l'art de graver sur métaux. La peinture consiste dans l'emploi des couleurs, mais non en cela seul, ou plutôt de cet unique moyen elle tire un plus grand parti qu'un autre art de ressources nombreuses. En effet, elle représente les ombres, elle varie l'expression des regards, suivant qu'elle nous montre la fureur, la douleur ou la joie. Donner aux yeux l'éclat qui leur est propre, c'est ce que ne saurait faire la plastique ; ils sont brillants, ils sont d'un vert bleuâtre , ils sont noirs dans les représentations de la peinture. Les cheveux sont d'un blond fauve, ardent, doré. Tout a sa couleur, les vêtements, les armes, les maisons et les appartements, les bois, les montagnes, les sources et l'air qui enveloppe toutes choses. Beaucoup d'artistes ont excellé dans cet art; beaucoup de villes, beaucoup de rois l'ont aimé avec passion ; mais c'est là une histoire que d'autres ont racontée avant moi, et par exemple, Aristodème de Carie , dont j'ai fait mon hôte, pendant quatre ans, par amour de,la peinture , et qui, disciple lui-même d'Eumélos , ajoutait beaucoup de charme à la manière du maître. Mon intention n'est pas de nommer des peintres ou de raconter leur vie, mais d'expliquer des tableaux variés : c'est une conversation composée pour des jeunes gens, en vue de leur apprendre à s'exprimer, et de former leur goût. Voici à quelle occasion ces discours ont été prononcés. Il y avait alors des jeux à Naples, cette ville de l'Italie fondée par des Grecs , et qui, par ses moeurs élégantes, par son goût pour les lettres, mérite d'être regardée comme une ville grecque. Je ne voulais point déclamer en public, quoique pressé par les jeunes gens qui fréquentaient la maison de mon hôte. Je logeais alors en dehors des murs dans un faubourg bâti sur la côte, et où s'élevait un portique à quatre ou cinq étages , qui avait vue sur la mer Tyrrhénienne. Revêtu des plus beaux marbres que recherche le luxe, il tirait son principal éclat des tableaux encastrés dans ses murs , et choisis, comme il me le semblait, avec un soin tout particulier ; ils témoignaient en effet du talent d'un grand nombre de peintres. De moi-même, j'avais formé le dessein de faire l'éloge de ces peintures ; mais le fils de mon hôte, un enfant d'une dizaine d'années, déjà curieux et avide d'apprendre, épia le moment où je visitai la galerie, et me pria de lui expliquer les tableaux. Ne voulant pas lui paraître trop maladroit : « volontiers, lui dis-je, je commencerai mon explication, quand tes jeunes amis seront arrivés. » Ceux-ci étant venus : « Votre camarade, leur dis-je, posera les questions ; c'est à lui que je consacre mon exercice d'interprète. Quant à vous, suivez le commentaire, mais ne vous contentez pas d'approuver : interrogez, si je ne suis pas assez clair. Ὅρα δὴ πάλιν· πάντα ἐκεῖθεν. Tu reconnais, mon enfant, que ce sujet est tiré d'Homère; mais peut-être n'y as-tu pas songé. En voyant le feu vivre dans l'eau, ton esprit n'aura été occupé que de ce spectacle merveilleux : cherchons ce que cela peut signifier. Mais consens d'abord à détourner tes regards pour te représenter la description d'Homère, dont s'est inspiré l'artiste. Tu te rappelles ce passage de l'Iliade où Homère nous montre Achille s'élançant pour venger Patrocle, où les dieux se préparent à combattre les uns contre les autres. Le peintre n'a point voulu nous mettre sous les yeux tous les événements de cette guerre divine, il n'en a choisi qu'un seul, Héphaestos se précipitant sur le Scamandre avec impétuosité, avec fureur. Considère maintenant le tableau : tout est tiré de là. Cette ville élevée, garnie de créneaux, c'est Ilium ; cette plaine est assez vaste pour avoir vu aux prises l'Europe et l'Asie. Le feu couvre la plaine comme un torrent débordé ; il rampe et s'étale sur les rives du fleuve, où l'on ne voit plus déjà aucune végétation. Cependant Héphaestos entouré de flammes qu'il entraîne se porte vers le fleuve ; et voici le fleuve en personne qui gémit et supplie Héphaestos. Si le Scamandre n'a point sa belle chevelure, c'est qu'elle a été brûlée par le feu ; si Héphoestos ne boite pas, c'est à cause de la vitesse de sa course. Le feu ne jette point un éclat rougeâtre, n'a point son aspect accoutumé ; mais il brille comme l'or ou les rayons du soleil. Homère n'est pour rien dans ce détail. COMMENTAIRE Un des épisodes les plus remarquables de l'Iliade est celui où le Scamandre, irrité contre Achille qui massacre ses chers Troyens, prend la figure d'un héros, supplie le guerrier grec de respecter en lui un dieu, et, le voyant sourd à ses prières, soulève ses eaux mugissantes, rejette par un puissant effort les cadavres qui encombrent son cours et poursuit dans la plaine son ennemi éperdu. Achille, passant soudain de l'excès de confiance à l'excès du désespoir, accuse sa mère et invoque les divinités protectrices des Achéens. Héphaestos, appelé par Héra au secours du héros, promène dans la plaine l'incendie, qu'attise et propage le souffle de Zéphyre et de Notos, consume les cadavres, les plantes, et pousse le feu jusque dans les eaux mêmes du fleuve qui bruissent comme l'eau d'une chaudière. Le Scamandre se désole à son tour, s'humilie, reconnaît la puissance supérieure d'Héphaestos, et implore Héra, qui dès lors, soucieuse de la dignité divine, défend à son fils de tant maltraiter un dieu à cause des mortels. Lucien dans un de ses dialogues marins a parodié ce chant de l'Iliade. « Ô mer, dit le Xanthe c'est le second nom du Scamandre , reçois-moi ; je suis dans un état pitoyable ; éteins le feu qui me brûle. » Et Lucien poursuit sur ce ton, comme s'il voulait faire ressortir l'invraisemblance de la fiction homérique. Tout l'épisode peut en effet paraître étrange, à qui veut soumettre la poésie aux lois d'une raison vulgaire. Mais cette lutte entre un homme et un dieu, puis entre deux éléments de nature diverse, tous les deux déchaînés avec fureur, et ne laissant plus de place pour un autre combat dans la plaine qu'ils envahissent, devait sembler aux Grecs un spectacle plus terrible que plaisant. Ainsi pensa sans doute l'artiste qui prit pour sujet de tableau un passage du XXIe chant de l'Iliade. Ce sujet était-il heureusement choisi? Non, sans doute, si nous consultons nos idées modernes sur la peinture. Les deux éléments, l'eau et le feu, ne sauraient à eux seuls composer un tableau ; si les dieux, Héphaestos et le Scamandre, sont représentés sous la figure humaine, c'est eux que nous considérerons, et la lutte entre les deux éléments nécessairement réduite par là même à d'humbles proportions, n'a plus rien d'effrayant ni d'imposant pour l'imagination du spectateur. Les anciens ne paraissent pas avoir jamais cédé à des considérations de cette nature : ils ne se demandaient pas s'ils affaiblissaient Homère en le traduisant dans la langue d'un autre art ; ils savaient du moins que ce qu'ils enlèveraient au poète d'un côté, ils le lui rendraient de l'autre, par la représentation toujours bien accueillie du corps humain. Dans la peinture qui nous occupe, l'eau et le feu n'apparaissent sans doute que pour rappeler le sujet : Héphaestos et le Xanthe, le premier courant avec fureur, l'autre suppliant, suffisaient pour donner au tableau un intérêt qui justifiât le choix de l'artiste. Philostrate sans doute parle du feu qui vit dans l'eau comme d'un spectacle merveilleux ; mais ce n'est pas sa pensée qu'il exprime ni celle de l'artiste qu'il expose ; il nous donne celle de l'enfant auquel il s'adresse, et dont l'attention est plutôt attirée par le choc de deux éléments contraires que par la beauté des personnages. Philostrate, au contraire, s'attache plutôt à nous décrire l'action et l'attitude d'Héphœstos et du Xanthe. Malheureusement le rhéteur ne satisfait qu'à demi notre curiosité sur ce point. Héphæstos court 'vers le fleuve, entraînant après lui un torrent de flammes. Mais quelle est l'attitude exacte du Xanthe? Est-il placé, comme dans une miniature d'un manuscrit de l'Iliade, sur le sommet d'un rocher, d'où il contemple mélancoliquement ses eaux taries et ses bords ravagés? Se soulève-t-il à moitié hors de ses eaux, comme le veut Welcker qui rapproche d'autres descriptions de Philostrate, ce qui ne permet guère de conclure pour celle-ci, et qui cite le Danube d'un bas-relief de la colonne Trajane? Nous ne voyons pour notre part aucune difficulté à accepter l'une ou l'autre de ces conjectures. Héphoestos est-il armé de torches comme dans la même miniature? Cela est peu probable ; cette circonstance singulière n'aurait pas été sans doute passée sous silence par Philostrate. On s'est étonné que Philostrate ne nommât point les attributs d'Héphaestos ; mais Philostrate ne fait point un cours d'archéologie et n'explique pas l'art antique à des modernes : il a reconnu le dieu à son action plutôt qu'à son bonnet obligé ou à des tenailles jetées par terre ; c'est aussi l'action seule qui le préoccupe. On a trouvé que le feu qui brûlait le Scamandre devait aussi briller Héphæstos ; cette critique parait singulière, attendu qu'Héphaestos dirige le feu, et que c'est son métier de le diriger. Rien ne dit d'ailleurs qu'il soit au milieu du feu même. Achille n'est point présent ; mais, à partir du moment où le combat est engagé entre Héphæstos et le Xanthe, il n'est pas question d'Achille non plus dans Homère. D'ailleurs Philostrate a peut-être pris sur lui de nous dire que les cheveux du Scamandre étaient consumés, comme la végétation de ses bords ; l'artiste pouvait avoir donné des cheveux courts au Scamandre. Philostrate aura trouvé ingénieux d'expliquer par l'action de la flamme l'absence d'une longue chevelure. Une autre subtilité de rhéteur, c'est de croire que, si Héphæstos ne boite pas, c'est qu'il court avec rapidité : dans la marche, c'est le mouvement alternatif des deux jambes qui nous montre que l'une d'elles est plus longue que l'autre. Dans un tableau l'homme qui court ou qui marche a nécessairement un pied levé, l'oeil ne peut dès lors mesurer exactement les deux membres ; aussi ne nous paraîtraient-ils pas inégaux, quand même ils le seraient. Si l'Héphæstos d'Alcamène semblait boiter, c'est qu'il était représenté au repos : in quo stante in utroque vestigio leviter apparet claudicatio non deformis. D'ailleurs les artistes ne croyaient pas nécessaire de se conformer à la vieille 204 légende. L'Héphaestos d'Euphranor ne boitait pas ; l'Héphœstos des oeuvres d'art qui nous sont restées n'égaierait pas de sa difformité, comme dans Homère, le festin des dieux : il est comparable aux plus beaux, aux plus parfaits d'entre eux. Philostrate qui nous explique pourquoi le fleuve n'a pas les cheveux longs et pourquoi Héphaestos ne boite pas, ne nous apprend pas pourquoi le feu n'avait point son aspect accoutumé ; c'était un feu divin, disent les commentateurs, un feu d'une nature plus éthérée que le feu qui sert aux besoins des hommes. Cette explication, qui attribue au peintre une idée ingénieuse, est sans doute exacte ; car Philostrate, en remarquant que ce détail n'est point pris à Homère, veut sans doute féliciter le peintre d'une heureuse invention. L'auteur de la miniature déjà citée a été moins raffiné ; la flamme qui tombe des torches d'Héphaestos est du rouge le plus vif. Peut-être aussi l'artiste avait-il donné à la flamme une couleur d'un blond doré, comme se prêtant mieux à l'harmonie générale des teintes de son tableau. Outre la miniature dont nous avons parlé et qui est reproduite dans Ingbirami Galeria Omerica, II, tav. Ces deux monuments sont reproduits dans le même ouvrage II, 155 et 200. Γέγραπται δὲ ἡ νὺξ οὐκ ἀπὸ τοῦ σώματος, ἀλλ´ ἀπὸ καιροῦ, δηλοῖ δὲ τὰ προπύλαια νυμφίους μάλα ὀλβίους ἐν εὐνῇ κεῖσθαι. Καθεύδει δὲ τὸ μὲν πρόσωπον ἐπὶ τὰ στέρνα ῥίψας καὶ τῆς δειρῆς ἐκφαίνων οὐδέν, τὴν δὲ ἀριστερὰν προλοβίῳ ἐπέχων· εἰλῆφθαι δὲ ἡ χεὶρ δοκοῦσα λύεται καὶ ἀμελεῖ, τὸ εἰωθὸς ἐν ἀρχῇ τοῦ καθεύδειν, ὅταν σαίνοντος ἡμᾶς ὕπνου μετέρχηται ὁ λογισμὸς εἰς λήθην ὧν συνέχει, ὅθεν καὶ τὸ ἐν τῇ δεξιᾷ λαμπάδιον ἔοικε διαφεύγειν τὴν χεῖρα καταρρᾳθυμοῦντος αὐτὴν τοῦ ὕπνου. Τί λοιπὸν τοῦ κώμου; τί δ´ ἄλλο γε ἢ οἱ κωμάζοντες; ἢ οὐ προσβάλλει σε κρόταλα καὶ θροῦς ἔναυλος καὶ ᾠδὴ ἄτακτος; λαμπάδιά τε ὑπεκφαίνεται, παρ´ ὧν ἐστι τοῖς κωμάζουσι καὶ τὰ ἐν ποσὶν ὁρᾶν καὶ ἡμῖν μὴ ὁρᾶσθαι. Cômos, ce génie qui préside aux promenades nocturnes des joyeux convives, se tient sur le seuil d'une chambre aux portes dorées ; dorées elles me semblent en effet, bien que l'oeil soit lent à les discerner dans l'ombre de la nuit. La nuit n'est point personnifiée, mais elle se reconnaît à ses effets. Le vestibule , digne d'un temple, atteste l'opulence des jeunes mariés, qui reposent sur la couche nuptiale. Cômos est venu, dieu jeune, vers des jeunes gens ; il a encore toutes les grâces tendres de l'enfance ; les fumées du vin ont coloré son visage ; debout, il cède cependant au sommeil de l'ivresse ; oui, il dort la tête penchée sur la poitrine; la main gauche posée sur un épieu qu'elle croit tenir se détend et s'abandonne, comme il arrive quand les premières caresses du sommeil engourdissent notre mémoire et notre esprit ; le flambeau que tient la main droite semble aussi échapper, par l'effet de la même cause, à ses doigts alanguis. Craignant que le feu n'approche de sa jambe, Cômos porte la cuisse gauche sur la droite et son flambeau du côté gauche, de manière à écarter la main et la flamme du genou qui fait saillie. Les peintres doivent traiter avec soin la figure des personnages qui ont 205 toute la vivacité de la jeunesse, s'ils ne veulent pas que leurs peintures soient mornes, comme le visage d'un aveugle ; mais pour Cômos, dont la tête penchée projette une ombre sur les traits, la figure a peu d'importance. L'artiste, j'imagine, recommande ainsi à ceux qui ont l'âge de Cômos, de ne pas fêter le dieu sans prendre le masque. Le reste du corps atteste une observation minutieuse de tous les détails, et le flambeau qui enveloppe le dieu de sa lumière fait ressortir toutes ses perfections. Admirons aussi la couronne de roses, non pour être fidèlement peinte, car représenter les fleurs avec des couleurs, avec le rouge ou le bleu, suivant le besoin, ce n'est point là un grand mérite, mais ce qu'il faut louer, c'est combien la couronne semble souple et délicate, c'est aussi combien les roses semblent fraîches ; j'ose le dire, elles ont le parfum de vraies roses. Après avoir parlé de Cômos, il nous reste à parler de ceux qui le célèbrent. N'entends-tu pas les crotales, les sons de la flûte, un murmure confus? Des flambeaux, épars çà et là, permettent à nos joyeux compagnons de voir devant eux et à nous de les voir. C'est une foule variée et remuante d'hommes et de femmes, chaussés sans distinction de sexe , vêtus d'une façon extraordinaire, car Cômos permet à la femme de se donner les airs d'un homme et à l'homme de revêtir la robe des femmes, de prendre une démarche féminine. Mais les couronnes de fleurs n'ont plus leur premier éclat, c'est que, pour ne point les perdre en courant, ils les ont tous fixées à leur tête : or la fleur, jalouse de sa liberté, craint le contact de la main qui la flétrit avant le temps. Enfin le peintre a encore représenté le battement des mains qui plaît surtout à Cômos ; la main droite frappe avec les doigts repliés dans la paume de la main gauche, et toutes les mains s'entre-choquant à la manière des cymbales, rendent le même son. Dans le Banquet de Platon, après le discours de Socrate, les convives entendirent frapper à coups redoublés aux portes de la maison. On crut que c'étaient de jeunes débauchés qui couraient la ville, accompagnés d'une joueuse de flûte. « Esclaves, s'écria Agathon, hâtez-vous d'aller voir ce que c'est : si ce sont des amis qui se présentent, priez-les d'entrer ; si ce sont des inconnus, dites-leur que nous ne buvons plus et même que nous sommes déjà endormis. » 206 Un instant après, nous entendons dans la cour la voix d'Alcibiade qui paraissait ivre et qui faisait grand bruit en criant : « où est Agathon? » La joueuse de flûte et quelques jeunes gens qui accompagnaient Alcibiade le prirent sous le bras et le conduisirent à la porte de la salle. Alcibiade s'y arrêta, couronné de violettes et de lierre, la tête environnée de bandelettes. » Ce passage célèbre nous fait connaître avec quelques détails un des usages lés plus singuliers de la Grèce antique. Les jeunes gens, après un banquet, parcouraient les rues, au son de la lyre ou de la flûte ; ils se rendaient chez leurs amis ou même chez des inconnus, là où ils supposaient qu'on serait heureux de les recevoir et de boire avec eux, quelquefois même là où ils ne pouvaient s'attendre qu'à être mal accueillis. Cette promenade nocturne s'appelait un cômos ; les couronnes de fleurs, les torches, les déguisements, les chants et la danse en étaient les accompagnements habituels. Plus d'une porte était brisée ; plus d'une rixe éclatait soit entre deux bandes joyeuses, soit entre gens d'une même bande. Les Grecs ne condamnaient de tels désordres que lorsque l'ivresse ne s'y mêlait pas ; prendre la couronne et la torche, sans être ivre, voilà quel était pour eux le vrai désordre. Le cômos a été quelquefois un événement historique : les bannis de Thèbes, voulant reconquérir leur patrie sur les Lacédémoniens, sur cet Archias qui remettait les affaires sérieuses au lendemain, se présentèrent chez ce dernier, comme des comazontes , déguisés en femmes, couronnés de feuilles de pin et de peuplier, simulant l'ivresse. Thaïs jeta la première torche sur le palais de Persépolis, dans les réjouissances d'un cômos monstrueux, composé de musiciens et de courtisans avinés qu'Alexandre lui-même conduisait au pillage et à l'incendie. Mettre sous les yeux un cômos, mais un cômos gracieux et charmant, sans aucun de ces excès qui en déshonoraient l'usage, telle parait avoir été l'intention du peintre, dont Philostrate nous décrit le tableau. Pour cela, il réunit ses jeunes hommes et ses jeunes femmes, non dans la maison de quelque débauché émérite, mais dans la demeure de deux nouveaux époux : c'est du moins l'interprétation de Philostrate, et s'il n'a point deviné l'intention de l'artiste, il lui en prête une en parfait accord avec la composition du tableau. Il y a bien quelques traces de désordre ; des couronnes dérangées, des fleurs fanées : mais ce sont là les moindres accidents de divertissements semblables. Nous ne voyons nulle part les effets d'une ivresse pesante ou grossière : point de mouvements déréglés ; point d'extravagances individuelles; point de clameurs assourdissantes ; des évolutions soumises au 207 rythme des instruments, des battements de main qui respectent la mesure, voilà à quoi se réduit l'explosion de cette gaieté très légèrement stimulée par la fumée du vin. Mais le dieu est lui-même présent : Cômos, personnage allégorique, n'a d'ailleurs aucun rapport avec les autres personnages du tableau. Suivant la coutume de l'art antique, l'idée d'allégresse est exprimée deux fois : une première, par des circonstances empruntées à la vie réelle ; une seconde, par l'image d'un génie, qui est l'allégresse elle-même D'ailleurs le dieu représenté est bien celui qui préside notre fête; même grâce, même nonchalance, même retenue dans le désordre lui-même, que chez les autres personnages ; il dort presque, le divertissement touchant à sa fin ; il laisse tomber sa tête et mourir sa torche ; on pressent que le son des flûtes va cesser, que bientôt le silence et le sommeil régneront seuls dans cette triste demeure. Cômos est tenu à la discrétion ; ayant prolongé ses ébats, après le départ des mariés, il ne saurait, lui qui a voulu fêter leur union, troubler leur repos. Il y a donc entre le dieu Cômos et le cômos lui-même, un accord, dont il faut savoir gré au peintre. Cependant Cômos, a-t-on remarqué, s'appuie sur un épieu ; nulle part, cette arme n'est mentionnée comme figurant dans ces sortes de parties nocturnes. En supposant que cette arme fût portée alors en prévision de rixe ou pour le besoin d'une effraction, est-ce bien ici le cas de donner à Cômos un épieu? La difficulté soulevée ne nous parait pas sérieuse : un épieu n'annonce pas nécessairement des projets de violence; il pouvait servir, en pareille circonstance, pour affermir des pas que l'ivresse rendait chancelants; dans la plupart des peintures de vases qui représentent un cômos , on voit des jeunes gens appuyés, sinon sur des épieux véritables, du moins sur de longs bâtons ; qui sait même si ce n'est point un de ces longs bâtons que Philostrate distrait aurait pris pour un épieu? Enfin l'épieu pouvait n'être qu'une arme d'apparat, utile cependant à celui qui conduirait une bande, soit pour modérer son impétuosité, soit pour écarter les fâcheux. En outre, on peut se demander si les artistes anciens ne procédaient point quelquefois comme les nôtres qui se laissent souvent plutôt guider par des considérations de grâce et d'élégance que par un respect scrupuleux de la vérité ; un épieu est un appui qui permet de donner à un personnage une pose heureuse; un artiste n'a souvent pas besoin d'un autre motif. Un des mérites de ce tableau consistait sans doute dans le contraste entre l'obscurité et la lumière. Les torches n'éclairaient pas beaucoup; car Philostrate remarque que les jeunes gens voyaient ce qui était à leurs pieds, par conséquent tout juste devant eux. Une lueur assez faible s'étendait jusqu'à la porte du vestibule qui s'ouvrait sur les appartements intérieurs; 208 Philostrate n'ose pas trop assurer que ces portes fussent dorées. Toute cette partie, le fond du tableau, est donc comme dans l'ombre. Comment la lumière se répartissait-elle entre les premiers plans du tableau? Sans doute suivant la place assignée à chaque groupe. Mais combien y avait-il de groupes, et comment ces groupes étaient-ils disposés? De même, où se tenait Cômos? Non, selon toute vraisemblance, car dams ce cas sa torche en aurait éclairé les portes assez vivement. Se trouvait-il au milieu du tableau? Cela n'est guère plus probable ; les anciens mettent volontiers les personnages allégoriques à côté des personnages qui sont censés vivre de la même vie que nous ; rarement ils en font le centre d'une composition. Il devait se tenir, croyons-nous, sur le premier plan, à droite ou à gauche sous le portique; là il s'offrait tout d'abord aux regards du spectateur; il indiquait le sujet; il charmait les yeux par sa beauté, par sa jeunesse et aussi par une exécution savante, comme le remarque Philostrate, à qui cette observation aurait sans doute échappé, si le dieu avait été plus enfoncé dans le tableau. Enfin, à cette place, il ne mêlait point sa personne d'un caractère distinct aux personnages réels du tableau. Nous connaissons par là la position d'une lumière, non des autres; il est peu probable que le peintre eût adopté un grand parti de lumière ; si nous consultons les habitudes des anciens, le torches devaient être disposées avec symétrie, à des distances régulières. Mais la peinture des anciens nous est bien peu connue, et les peintures de vases et les bas-reliefs, auxquels nous pensons, constituent un genre trop distinct pour qu'il nous soit permis d'insister sur notre conjecture. Ce Dieu ou ce génie du nom de Cômos n'est pas une invention de l'artiste qui a composé le tableau décrit par Philostrate. Nous le rencontrons souvent sur les peintures de vases , où il est accompagné de son nom, afin que nous ne puissions le méconnaître. Mais est-ce bien le même personnage? Sur les vases, il fait partie du thiase bachique; il est représenté sous la figure d'un satyre, avec les longues oreilles terminées en pointe, un nez peu régulier, la queue obligée, des formes rustiques, une gesticulation souvent excessive. La différence est manifeste; Welcher en a tiré cette conclusion : le Cômos du thiase est un dieu, un génie ; le Cômos de Philostrate est un être allégorique, et c'est improprement qu'il est appelé un démon par notre auteur. Nous ne voyons pas trop, pour notre part, l'utilité de cette distinction. Dans la mythologie, on peut être un dieu et un personnage allégorique tout à la fois : pour n'en citer qu'un exemple, la Médée qui accompagnait Bacchus dans un groupe de Praxitèle était en même temps une divinité bachique et une personnification de l'ivresse. Seulement, 209 de même que les Satyres, se transformant avec les progrès de l'art, sont devenus d'aimables adolescents et n'ont plus gardé de leur première forme que les oreilles de chèvres, souvent dissimulées par la chevelure ; de même Cômos, à mesure que les moeurs se polissaient, a secoué sa grossièreté native ; les oreilles même semblent s'être rapetissées à des proportions humaines, le satyre a disparu, faisant place à une divinité, aux fonctions et aux formes élégantes, type perfectionné de la jeunesse bien née, comparable à Éros ou à Hymémeos. La ressemblance même avec ce dernier dieu a paru si complète que quelques commentateurs ont cru à une erreur de la part de Philostrate. Une seule remarque suffit, ce semble, pour faire rejeter cette opinion : c'est que, pour voir dans le tableau les suites d'un banquet nuptial et Hyména os dans le personnage allégorique, il faudrait que nous fussions sûrs que derrière ces portes dont parle Philostrate il y a bien de nouveaux époux ; or ce n'est là qu'une conjecture de Philostrate ; conjecture qui s'accorde avec la présence de Cômos ou de l'Hyménée, si elle est vraie, mais qui, si elle est fausse, chasse l'Hyménée du vestibule, et n'y laisse que Cômos, ce dieu n'ayant pas besoin d'être appelé par les cérémonies d'un mariage pour s'emparer d'un portique et donner l'essor à sa pétulante gaieté. Otto Jahn, Versammlung Königs: Ludwig, n° 296, 802. LXIV, LXV ; Dubois-Maisonneuve, 22 ; D'Hancarville, Antiquités, etc. Pline, XXXIV, 19, 10. Müller, Manuel, § 398 de la traduct. Si les compositions décrites par Philostrate avaient un caractère plus symbolique et religieux, peut-être pourrait-on voir dans le tableau de Cômos une représentation de quelque cérémonie, usitée dans les Anthestéries athéniennes. Les Fables viennent trouver Ésope qu'elles aiment, en retour de la tendresse qu'il a pour elles. Ce n'est pas que ce genre de fiction ait été dédaigné par Homère, par Hésiode, ni par Archiloque, écrivant contre Lycambé ; mais c'est Ésope qui a mis en fable toute la vie humaine, et qui a donné aux bêtes le langage, pour parler à notre raison ; car ainsi il réprime la cupidité, il bannit la violence et la fraude ; et cela en attribuant un rôle au lion, au renard, au cheval, à tous les animaux, voire même à la tortue, qui cesse d'être muette, elle aussi, pour instruire les enfants des choses de la vie. C'est pourquoi les Fables, mises en honneur par Ésope, se pressent devant la porte du sage afin de lui 210 ceindre la tête de bandelettes et le couronner de branches nouvelles. Quant à Ésope, il compose une fable, j'imagine, on le devine à son sourire, à ses yeux fixés sur le sol. Une douce sérénité qui détend l'âme, est nécessaire au fabuliste ; l'artiste le savait bien. La peinture se montre aussi fort ingénieuse dans la manière dont elle personnifie les fables; les personnages en effet dont elle entoure Ésope comme d'un choeur tragique tiennent à la fois de l'homme et de la bête ; et sont composées d'éléments empruntés au théâtre même du poète. Le renard est le coryphée ; c'est que, dans la plupart des cas, Ésope se sert du renard comme la comédie de Dave pour exposer son dessein. Voici encore une description qui pique notre curiosité sans trop la satisfaire. Les Fables viennent rendre un hommage solennel à Ésope ; un personnage principal et tout un groupe d'êtres allégoriques, tels sont les éléments du tableau. Nous voudrions voir Ésope par la pensée, et Philostrate nous le montre en effet, baissant les yeux, souriant, composant une fable. Peu importe que notre auteur ait songé à Ulysse, baissant la tête, lui aussi, quand il se préparait à parler , ou à certains sophistes, qui avaient adopté cette contenance, comme plus favorable au travail de la pensée et de l'improvisation. Quel que soit le motif qui l'ait fait observer et relever ce détail, nous devons lui savoir gré de nous l'avoir conservé. Ésope était donc dans l'attitude de la méditation : il se laissait couronner par les Fables, sans les voir, sans leur faire un accueil quelconque, sans les haranguer, sans même leur réserver les prémices de la fable qu'il composait. Nous devons nous représenter, non une scène où les personnages soient en étroit rapport entre eux, mais une espèce d'apothéose, de couronnement de buste ou de statue. Dans le marbre de l'apothéose, Homère, couronné par le Temps et la Terre, demeure impassible. Dans une peinture de Pompéi , une foule d'hommes et d'enfants se presse autour d'un bel adolescent, couronné de lierre, qu'on a pris pour Bacchus, l'inventeur de la comédie : le dieu pose le masque sur la tête d'un personnage, comme pour le consacrer poète comique ; mais, à part ce mouvement, il n'a point l'air de s'intéresser à la scène dont il est le principal acteur ; il ne considère point les assistants, il ne les voit ni ne les écoute; il semble même peu attentif à ce qu'il fait. Ésope, dans le tableau qui nous occupe, paraît avoir été conçu d'une façon analogue; il s'isole, au milieu de la foule qui l'entoure; il sourit à ses pensées, non aux 211 hommages qu'il reçoit ; ce n'est pas un grand homme donnant audience à ses admirateurs ; c'est le fabuliste par excellence. Les Fables figurent là comme dans l'atelier d'un sculpteur les ouvrages sortis de ses mains. Elles lui doivent tout, il ne leur doit rien, pas même un regard : ce regard d'ailleurs serait fâcheux ; il amuserait mal à propos l'esprit du spectateur, il le distrairait, il l'empêcherait de songer uniquement au génie du poète. Une seconde question se présente ici. Ésope était-il assis ou debout? Welcker répond sans hésiter : il était assis, mais d'ailleurs ne donne pas les motifs de son opinion ; il pensait sans doute aux philosophes et aux poètes que nous offrent les monuments de l'antiquité et qui sont presque tous représentés assis. C'est l'attitude d'Homère dans le marbre de l'apothéose : une statue, trouvée dans les jardins du Vatican et regardée comme un Ésope nous montre le fabuliste sur un siège sans dossier. La statue, il est vrai, isole le personnage ; dans le tableau, il est le centre d'une composition, n'eût-il pas été naturel qu'Ésope se levât pour recevoir ses hôtes? Trop naturel, en effet, et c'est justement ce qui doit nous empêcher de le concevoir debout. Ésope, comme nous l'avons dit, ne devait point être groupé, en ce sens qu'il n'était point lié à l'action. Le lien du moins était celui qui existe entre l'artiste et ses productions, non entre l'artiste et les autres hommes qui l'admirent. La conjecture de Welcker semble donc des plus fondées. Autre question : Ésope, suivant la tradition, était contrefait. Sans parler de la vie d'Ésope attribuée à Planude et toute remplie de contes ridicules , un Hermès de la Villa Albani et une lampe antique , nous le représentent avec un buste trop court et un corps ramassé sur lui-même. Dirons-nous qu'Esope dans le tableau de Philostrate offrait cette apparence disgracieuse? Plusieurs raisons s'y opposent : d'abord l'origine probablement tardive de cette légende sur la difformité d'Ésope , puis la pratique des artistes de l'antiquité. Lysippe, qui avait exécuté un groupe des sept Sages de la Grèce , leur avait donné Ésope pour coryphée : on ne conçoit guère un nain chargé d'un tel emploi, comme le remarque Welcker. La statue assise, dont nous avons parlé plus haut, n'est point celle d'un bel homme ; ce n'est point non plus celle d'un être difforme ; les traces de faiblesse physique, qu'un savant archéologue a cru y découvrir, sont peu sensibles ; les regarder comme 212 un moyen employé par l'artiste pour rappeler la difformité du personnage est une pure conjecture. Le Démosthène du Louvre n'est point non plus un type de vigueur et de beauté ; il ne faudrait point en conclure que l'orateur était faible et chétif, au point d'embarrasser un sculpteur et de lui faire adopter je ne sais quel compromis entre la laideur extrême et la beauté parfaite. Ésope, qui n'était point un dieu, qui ne reçut jamais les honneurs divins, n'avait point droit à des formes nobles et puissantes. Si c'est Ésope que représente notre statue, l'artiste a ignoré ou voulu ignorer la légende. Il faut en dire autant, sans nul doute, de l'artiste qui avait exécuté le tableau décrit par Philostrate ; Ésope n'était pas pour lui un esclave phrygien, mais l'inventeur d'un genre littéraire ; représenter un homme doué d'une imagination riante et d'un esprit ingénieux, tel était son objet ; une difformité, qui eût provoqué le rire, eût gâté toute cette conception. Si l'imagination populaire se plaît quelquefois à associer l'intelligence et la laideur, l'art au contraire, pour mettre l'intelligence en plein relief, oublie, cache ou corrige les défauts physiques. Venons maintenant aux Fables, aux Mythes pour conserver le mot grec, essentiel ici ; car le genre du mot imposait le sexe aux personnages allégoriques. Les Mythes, suivant Philostrate, tenaient à la fois de l'homme et de la bête ; sur ce simple détail, comment nous les représenterons-nous? Il y a diverses façons d'allier la forme humaine à celle de l'animal, suivant qu'on veut ennoblir l'animal ou nous montrer l'homme déchu. Les dessinateurs qui ont illustré les fables de La Fontaine ou autres, considérant que les fables sont une critique de nos moeurs, se sont souvent bornés à dresser l'animal sur ses pattes, à lui donner une attitude qui rappelle l'homme, à jeter sur lui nos vêtements ; quelquefois, tout en conservant le corps de l'homme, ils font profondément modifié les parties nobles, la tête, le cou, la poitrine, de manière à les rendre semblables aux parties correspondantes chez telle ou telle bête. Dans le tableau qui nous occupe, le cas est bien différent : les Mythes ne sont pas des personnages de fable, ce sont les fables elles- mêmes ; s'ils ont quelque chose de l'animal, ce sera, non pour faire la satire de l'homme, mais pour rappeler les êtres qu'elles mettent en scène. Il est bien permis à l'allégorie, qui dit une chose pour en faire entendre une autre, d'avoir une double nature ; mais il ne lui est pas permis de sacrifier un caractère essentiel à un caractère accessoire ; or l'essentiel pour les Mythes est de se montrer à Ésope sous la forme d'êtres capables de reconnaissance et d'affection, gracieux même et charmants, puisque leurs attraits feront l'éloge du génie d'Ésope. Nous sommes ainsi amené à croire que les Mythes étaient d'aimables adolescents, rappelant la nature de l'animal, soit par des cornes, soit par la forme des oreilles, soit par des jambes velues, des pieds munis de sabots ou de griffes. Ces sortes de combinaisons sont familières à l'art antique ; il suffira de rappeler les Centaures, le dieu Pan qui a le visage d'un homme et des pieds de chèvre, les Faunes avec leurs oreilles pointues et leurs cornes à l'état de bourgeon, telle tête de Jupiter Sérapis ou d'Alexandre avec les cornes de bélier. Welcker suppose en outre que l'artiste a pu revêtir les mythes de peaux de bête ; dans les plus anciens monuments, dit-il, où Hercule et d'autres héros sont coiffés d'une tête de loup ou de lion, sont affublés de dépouilles à queue pendante par derrière, on distingue mal entre la bête et l'homme, tant le corps et le vêtement étroitement unis ne font qu'un tout. Le texte de Philostrate qui parle de la fusion de deux corps en un ne nous permet guère de penser à un pareil artifice. En résumé, figure humaine, et appendices ou membres inférieurs empruntés à la faune, voilà sous quelle forme nous devons concevoir, ce semble, les Mythes de Philostrate. Iliade, III, 202, 217. IV ; Roux et Barré, Herculanum et Pompei, II, pl. Annali dell' Instituto, 1840, p. Voir Welcker, Kleine Schriften, II, p. Ses arguments n'ont pas paru décisifs. Welcker cite aussi une statue d'Ésope par Aristodème et prétend que cette statue, étant, selon Tatien Adv. Ici encore, la preuve ne parait pas concluante. Dans le marbre de l'apothéose d'Homère, M. Ἡδὺ τὸ σόφισμα τοῦ ζωγράφου. Περιβάλλων τοῖς τείχεσιν ἄνδρας ὡπλισμένους τοὺς μὲν ἀρτίους παρέχει ὁρᾶν, τοὺς δὲ ἀσαφεῖς τὰ σκέλη, τοὺς δὲ ἡμίσεας καὶ στέρνα ἐνίων καὶ κεφαλὰς μόνας καὶ κόρυθας μόνας, εἶτα αἰχμάς. Ἀναλογία ταῦτα, ὦ παῖ· δεῖ γὰρ κλέπτεσθαι τοὺς ὀφθαλμοὺς τοῖς ἐπιτηδείοις κύκλοις συναπιόντας. Οὐδὲ αἱ Θῆβαι ἀμάντευτοι· λόγιον γάρ τι ὁ Τειρεσίας λέγει τεῖνον ἐς Μενοικέα τὸν τοῦ Κρέοντος, ὡς ἀποθανών, ἔνθα ἡ χειὰ τοῦ δράκοντος, ἐλευθέρα ἡ πόλις ἐκ τούτου εἴη. Ὁ δὲ ἀποθνῄσκει λαθὼν τὸν πατέρα ἐλεεινὸς μὲν τῆς ἡλικίας, εὐδαίμων δὲ τοῦ θάρσους. Ὅρα γὰρ τὰ τοῦ ζωγράφου. Ἔρρωται καὶ ὤμων ἐπαγγελίᾳ καὶ οὐκ ἀτρέπτῳ τένοντι, μετέχει δὲ καὶ κόμης, ὅσον μὴ κομᾶν. Ἐφέστηκε δὲ τῇ χειᾷ τοῦ δράκοντος ἕλκον τὸ ξίφος ἐνδεδυκὸς ἤδη τῇ πλευρᾷ. Cette ville assiégée est Thèbes, car le mur a sept portes ; cette armée est celle de Polynice, fils d'OEdipe, car elle est divisée en sept corps. Ce chef qui s'approche du camp, c'est Amphiaraos ; il a l'air découragé d'un homme qui pressent une cruelle catastrophe. Les chefs de corps sont également effrayés ; aussi lèvent-ils les mains vers le ciel. Capanée contemple avec mépris les murailles et les créneaux, car il compte sur les échelles pour l'escalade. Les défenseurs du rempart n'envoient pas de traits ; les Thébains craignent d'engager la lutte. Admirons ici l'art ingénieux du peintre: des hommes armés qui enveloppent la ville, les uns nous apparaissent tout entiers, les autres ont les jambes cachées, ceux-ci n'ont de visible que la moitié du corps, ceux-là la poitrine, puis les tètes seules émergent, puis les casques seuls, puis les pointes des lances. C'est un effet de perspective, mon enfant ; à mesure que l'oeil s'enfonce dans le tableau, les rangs d'hommes doivent se masquer de plus en plus les uns les autres. Les prédictions ne manquent pas non plus à Thèbes. Tirésias profère un oracle qui condamne Ménoecée, le fils de Créon, à périr dans le repaire d'un dragon, s'il veut sauver sa patrie. Et voilà Ménoecée qui meurt, à l'insu de son père : son âge le rend digne de pitié, mais c'est être heureux que d'avoir un tel courage. Considère en effet la peinture, ce n'est point un jeune homme au teint délicat , aux traits efféminés ; il est plein de vie ; fortifié par la palestre, il a cette belle carnation d'un brun doré qui plaît au fils d'Ariston ; la poitrine offre des muscles saillants, les hanches, les fesses, les cuisses sont bien proportionnées. Les épaules annoncent de la force, le cou est sans raideur , 214 la chevelure est abondante sans excès. Debout près de l'antre du dragon, il retire l'épée dont il s'est déjà percé le flanc. Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui s'écoule de sa blessure, l'âme s'échappe elle aussi ; encore un moment et tu l'entendras pousser son cri d'adieu , car les âmes aiment les beaux corps et ne s'en séparent qu'avec regret. A mesure que le sang s'écoule, Ménoecée chancelle, il se jette dans les bras de la mort avec un visage calme et souriant, presque avec l'air d'un homme qui s'endort. Cadmos, le fondateur de Thèbes, voulant offrir un sacrifice à la déesse Athénâ envoya puiser l'eau des libations à une source consacrée à Arès et gardée par un dragon, fils du dieu. Les messagers furent dévorés; pour venger leur mort, Cadmos, avec l'aide d'Athénâ, tua le dragon d'un coup de pierre. Les dents du monstre, semées en terre, donnèrent naissance à des géants tout armés qui se jetèrent les uns sur les autres et s'entre-tuèrent, à l'exception de cinq, qui furent les chefs des principales familles de la Thèbes cadméenne. A l'époque de la guerre des Sept contre Thèbes, Créon et ses deux fils Hémon et Ménoecée étaient les derniers représentants de cette race issue du dragon. Le devin Tirésias, consulté par Créon sur les moyens de délivrer la ville assiégée, lui répond ainsi dans la tragédie des Phéniciennes : « Il faut que ton fils égorgé dans l'antre qu'habitait le dragon, fils de la Terre, gardien des eaux de Dircé, offre à la Terre une libation de son sang pour apaiser l'ancien courroux de Mars, qui venge le meurtre du dragon né de la Terre : ce faisant, vous aurez Mars pour auxiliaire... Il faut que la victime soit issue de ceux qui naquirent des dents du dragon... L'hymen d'Hémon ne permet pas qu'il soit immolé; car ce n'est pas un jeune garçon, et, bien que le mariage ne soit pas consommé, il n'en a pas moins une épouse. Mais si tu fais à la ville le sacrifice de Ménoecée, il peut par sa mort sauver sa patrie, préparer un amer retour pour Adraste et les Argiens, en répandant sur leurs yeux les ombres du trépas, et rendre à jamais Thèbes illustre. » Ménoecée se soumit à cet arrêt de mort. La poésie et la peinture ne pouvaient pas offrir un plus bel exemple de dévouement à la patrie. Les circonstances dont Euripide entoure le sacrifice de Ménoecée le rendent encore plus héroïque. Créon se révolte contre les prédictions de Tirésias, et le presse vivement de s'enfuir au séjour sacré de Dodone ; les chefs des cohortes ne sont pas encore avertis ; les magistrats et les généraux ne connaissent pas encore l'oracle. Ménoecée, en se hâtant, peut assurer son salut. Le jeune homme feint d'accepter les conseils de son père, 215 l'interroge, pour mieux le tromper, sur les moyens d'exécution, l'écarte sous prétexte d'aller faire ses adieux à sa tante Jocaste qui l'a nourri de son lait ; puis, sans blâmer son père, excusant en lui la faiblesse du vieillard, il annonce au choeur sa résolution de se jeter du haut des remparts dans la caverne du dragon. Incapable d'exprimer cet héroïque mensonge, de montrer la pieuse résistance d'un fils aux ordres de son père, la peinture a dû chercher d'autres moyens de nous intéresser au héros et de rehausser le prix de son sacrifice ; elle les a trouvés dans le contraste entre la mort et la jeunesse, entre la mort et la beauté. Aussi Philostrate nous semble-t-il être entré tout à fait dans la pensée du peintre lorsqu'il nous décrit avec admiration les qualités physiques de Ménoecée, et nous montre l'âme abandonnant à regret un beau corps. Rien de plus naturel aussi que ce cri, qui peut tout d'abord, surtout chez un sophiste, sembler une pure déclamation : « Recevons, mon enfant, recevons dans le pli de notre robe le sang qui coule de sa blessure. » Par un sentiment qui est de tous les temps et de tous les pays, on a regardé comme précieux, comme digne d'être conservé, le sang versé pour une noble cause et sans espoir de récompense. L'usage de recueillir le sang d'une personne aimée ou admirée était d'ailleurs connu des anciens ; Aristophane l'a parodié dans les fêtes de Cérès et de Proserpine : lorsque Mnésiloque menace de crever l'outre remplie de vin qu'il a dérobée à l'une des femmes, celle-ci, qui la réclame comme son enfant, s'écrie : « Mania, passe-moi la coupe sacrée afin que je recueille au moins le sang de ma fille. » Nous étonnerons-nous, d'un autre côté, avec un critique allemand, que Ménoecée meure avec le sourire sur les lèvres, sous prétexte que l'art grec n'a jamais donné cette expression aux morts ni aux mourants? L'art grec ne nous paraît pas avoir eu de ces partis pris et, en supposant même qu'une pareille règle eût existé quelque part, l'artiste, dans un pareil sujet, n'eût- il pas été tenté de l'enfreindre et n'eût-il pas fait approuver de tous son audace opportune? En effet, Ménoecée, qui avait pris sans murmure et si promptement la résolution de mourir, qui avait repoussé si courageusement les chances de salut, dut accomplir son sacrifice avec enthousiasme ; quoi d'étonnant que le visage, même au moment de la mort, ait conservé les traces d'un pareil sentiment? Un air de sérénité n'eût point suffi pour exprimer l'héroïsme de Ménoecée ; il fallait qu'on pût lire sur ses traits le contentement, le bonheur de l'homme qui délivre sa patrie. Dans Euripide, le fils de Créon se jette du haut des remparts; dans le tableau, il se tue avec l'épée, près de l'antre du dragon. La scène ainsi présentée est peut-être moins vraisemblable, puisqu'il faut que Ménoecée sorte en plein jour de la ville assiégée; mais elle est plus conforme aux lois de la peinture. Ménoecée, suspendu dans les airs, ou gisant la tête fracassée sur 216 le sol au pied des murailles, eût été un objet de terreur et d'épouvante ; il n'eût point charmé le spectateur par sa beauté, et, loin de rappeler à l'esprit l'idée d'un sacrifice volontaire, il eût fait penser à quelque accident comme il peut en arriver à tous les sièges ; c'eût été la mort d'un guerrier vulgaire, et non celle d'un héros. Maintenant, comment nous représenterons-nous l'ensemble du tableau? Ménoecée, sans aucune difficulté, occupe le premier plan; c'est le personnage principal, sinon unique ; tout le reste du tableau n'a d'autre objet que d'expliquer sa présence et de le faire valoir. Placez entre lui et le spectateur les lignes d'armée qui s'échelonnent, en se masquant en partie les unes les autres ; quelle taille aura Ménoecée? Nous sera-t-il loisible d'étudier sa beauté, comme le fait Philostrate, et comme chaque spectateur doit le faire, pour recevoir dans toute sa force l'impression du sujet? Mais, d'un autre côté, en mettant Ménoecée le plus près possible du spectateur, où seront les assiégeants, où sera Thèbes elle-même? Nous ne voyons guère qu'une supposition admissible. La ville de Thèbes placée à droite ou à gauche dans le tableau déploie ses murailles en perspective; rangés en face des remparts, les sept corps d'armée, partant du premier plan, s'enfoncent dans le tableau, de manière à être vus, non de dos, mais de flanc. Une rivière, celle qu'alimente la source de Dircé et qui était très profonde, comme le remarque Euripide , sépare de la ville, entourée d'ailleurs par un fossé, les assiégeants, retranchés peut-être derrière une enceinte de chars de guerre. Ménoecée se tient au pied des remparts, à un angle du tableau ; Amphiaraos, sur le visage duquel Philostrate a pu lire le découragement, Capanée qui se fait remarquer par un air de mépris, ne peuvent guère être bien au delà du premier plan ; Amphiaraos occuperait l'angle opposé à Ménoecée puisqu'il est dit de lui qu'il s'approche de l'armée rangée en bataille, Capanée serait debout, le plus près possible des murailles de Thèbes dont il mesure de l'oeil la hauteur. En recomposant ainsi ce tableau, nous avons, selon nos idées modernes, accordé le moins de place possible à la convention. Mais on sait que la convention a été plutôt recherchée qu'évitée par l'art antique. Dans la peinture même qui nous occupe, c'était déjà une convention que de représenter les sept portes de Thèbes ; de quelque façon, en effet, que l'on place la ville, il est bien difficile que les portes, qui n'étaient pas sans doute toutes d'un même côté, fussent toutes apparentes. Mais cette difficulté n'était point faite pour embarrasser un artiste ancien; il plaçait ses sept portes à la suite l'une de l'autre, dans la partie des murailles qu'il laissait voir ; la ville était ainsi reconnue ; son but était atteint. C'était une autre convention que de représenter Ménoecée entièrement nu ; mais ici l'art grec et l'art moderne 217 se sont rencontrés plus d'une fois ; l'un et l'autre ont supprimé le costume dans des scènes où la vérité historique semblait l'exiger impérieusement. C'est que l'art a pour première loi de se montrer avec tous ses avantages ; s'il en perd quelqu'un, à étire vraisemblable, il sacrifie volontiers la vraisemblance. Nulle part cette doctrine ne paraît avoir été poussée plus loin qu'en Grèce, ni appliquée plus fréquemment qu'à la composition des tableaux ou des bas-reliefs. Entre les assiégeants et Ménoecée, la raison demandait un certain intervalle; mais cet intervalle avait bien pu être supprimé par l'artiste plus soucieux de nous faire admirer son Ménoecée que de nous faire approuver la place qu'il lui assignait. Dans cette supposition, la ville de Thèbes pouvait occuper le fond du tableau ; d'un côté, les assiégeants auraient été groupés devant les murs; de l'autre, et sans qu'il y eût ni enceinte de chars ni fontaine de Dircé, toutes choses dont Philostrate ne parle pas d'ailleurs, on aurait aperçu Ménoecée et le repaire du dragon. Les archéologues n'ont reconnu la mort de Ménoecée que sur un petit nombre de monuments. Une pâte antique de couleur jaune, provenant de la collection Stosch et maintenant à Berlin, nous représente un jeune homme agenouillé sur un autel et se donnant la mort d'un coup d'épée dans la poitrine. Son bouclier porte un oiseau qu'on a pris pour un phénix qui serait alors l'emblème de la délivrance prochaine de Thèbes. Voilà bien des suppositions, sans compter celle par laquelle on reconnaît dans ce jeune héros le fils de Créon. Une pâte antique violette de la même collection nous offre le même sujet; le bouclier est orné d'une étoile, et un flambeau est appuyé sur l'autel. Enfin sur une urne cinéraire, trouvée en Étrurie, on voit un jeune homme qui se jette sur son épée ; un personnage âgé, tenant un bouclier, se précipite vers lui ; comme pour attaquer ou défendre ; ce serait Créon, volant au secours de son fils. Une figure de femme, d'exécution remarquable, arrête le vieillard, tout en tournant les yeux du côté du jeune homme. Ce serait Jocaste suivant Lanzi et Overbeck, Manto ou la Vertu selon Inghirami. Derrière Créon se trouve un personnage qui a été pris pour un serviteur, et dans le fond de la composition, s'élevant au-dessus des personnages du premier plan, de Créon et du serviteur, une femme armée d'une torche, peut-ètrp une Furie étrusque. Nous ne décrirons pas avec plus de détails ces monuments qui pourraient bien avoir rapport à un autre héros que Ménoecée, et qui diffèrent d'ailleurs complètement du tableau décrit par Philostrate. Inghirami, Monumenti Etrusci, sér. Autour du Nil jouent les Coudées, enfants ainsi nommés à cause de 218 leur taille, chers au Nil à bien des titres, et surtout parce qu'ils annoncent aux Égyptiens quelle sera la profondeur de ses eaux débordées. Ils sont amenés vers le dieu par le flot même , et semblent en sortir, frais et souriants, je crois même qu'ils ne sont pas privés de la parole. Les uns s'assoient sur les épaules du fleuve, les autres se suspendent aux tresses de ses cheveux, ceux-ci s'endorment dans ses bras, les autres folâtrent sur sa poitrine. Et lui, le dieu, leur abandonne les fleurs qu'ils trouvent les uns sur sa poitrine, les autres entre ses bras, pour qu'ils s'en tressent des couronnes et s'endorment sur les fleurs, comme des êtres divins et sacrés. Ils montent sur les épaules les uns des autres, au bruit des sistres, dont les eaux du Nil aiment à retentir. Quant aux crocodiles et aux hippopotames que certains artistes placent à côté du Nil, ils se tiennent au plus profond du gouffre, pour ne point inspirer de frayeur aux enfants; d'ailleurs voici les attributs de la navigation et de l'agriculture qui désignent manifestement le Nil, tu n'ignores pas pourquoi, mon enfant; c'est le Nil qui rend l'Égypte navigable et dont les eaux bues par la terre donnent à ses plaines de si riches moissons. En Ethiopies, d'où il vient, se tient un dieu qui règle son cours avec prudence suivant les saisons ; dans le tableau, on devine qu'il est d'une stature à toucher le ciel ; il a le pied posé près des sources ; il semble baisser la tête, ô Poséidon, en signe d'assentiment ; le fleuve tourne ses regards de son côté, et lui demande beaucoup d'enfants, semblables à ceux-ci. Il existe bien des différences entre la statue du Nil qui est au Vatican , et le tableau que nous décrit Philostrate. Le Nil du Vatican est à demi couché ; de son bras et de sa main gauches, il enveloppe une corne qui, posant à terre par l'extrémité, lui sert de point d'appui ; dans l'autre main qu'il étend sur ses cuisses, il tient une gerbe de blé ; les enfants, les Coudées, montent à l'escalade du géant, ils se divisent en quatre groupes principaux, l'un près des pieds, l'un près de la corne, un troisième tout contre la cuisse qui pose sur le sol; un quatrième près de la gerbe. Deux enfants sont isolés : l'un, monté sur l'épaule du dieu, joue avec sa chevelure ; l'autre se tient debout, au milieu des fleurs et des fruits qui remplissent la corne d'abondance et croise les bras d'un air de triomphe. Les occupations des enfants sont diverses, ceux-ci jouent avec un crocodile, ceux-là avec un ichneumon; les autres ne songent qu'à s'aider des pieds et des mains pour monter plus 219 haut. Mais ce qu'il faut surtout admirer dans cette oeuvre, au point de vue de. Dans le tableau de Philostrate, la poitrine du dieu devait disparaître en partie masquée par un groupe d'enfants, puisqu'il est dit que les Coudées trouvent en cet endroit des fleurs pour s'en tresser des couronnes. Les enfants ne jouent pas avec les animaux qui habitent les eaux du Nil, mais avec les sistres, dont les bords du fleuve aiment à retentir. Enfin, au lieu d'être tous vifs et remuants, quelques-uns d'entre eux se livrent au sommeil. Ces différences nous permettent-elles de conclure en faveur du sculpteur ou du peintre? Le sculpteur a évidemment ici un grand avantage; son oeuvre est devant nos yeux, et la beauté en est telle que tout changement dans la place des groupes, tout détail ajouté ou supprimé, nous paraîtrait plutôt la diminuer que l'augmenter. Il parait bien, d'après la description de Philostrate, que les enfants prenaient leurs ébats avec un peu de confusion et cachaient ce qui aurait dû rester découvert pour le plaisir des yeux ; mais la peinture aime moins la symétrie que la sculpture ; elle se prête mieux aux caprices et à la fantaisie de l'artiste; dans le sujet principal, elle accorde plus de place à l'incident; elle est moins éprise des formes humaines et plus curieuse des ornements, comme les sistres et les guirlandes. Elle eût admis le crocodile et l'ichneumon que nous n'aurions rien trouvé à redire, bien que Philostrate applaudisse à l'absence de ces animaux, qui auraient, dit-il, pu effrayer les enfants ; c'est là une réflexion de commentateur qui aime à prêter de l'esprit à l'artiste ; le peintre sans doute, ou n'y avait pas songé, ou avait voulu s'écarter de la voie commune, ou encore avait craint quelque surcharge. Le groupe du Vatican ne saurait être critiqué pour nous montrer ces animaux pas plus que le tableau de Philostrate pour les dérober à notre vue. Ce sont là des ressources de composition qui sont communes au peintre et au sculpteur, mais qu'ils sont libres tous les deux de rejeter. Mais, dira-t-on, le sommeil de quelques-uns de ces enfants n'est-il pas contraire au sens même de l'allégorie qui fait le sujet de ce tableau? Les Coudées représentent le flot qui monte et non l'eau qui dort; monter sans cesse, eux aussi, s'agiter du moins et folâtrer sans trêve ni repos, tel doit être leur rôle. On pourrait répondre que, lorsque le fleuve a atteint la hauteur d'un certain nombre de coudées, seize par exemple, il demeure stationnaire, et que par conséquent, les enfants, qui représentent la crue, peuvent aussi se reposer et même dormir. Mais il y a mieux à dire : une telle objection nous parait inspirée par un complet oubli des procédés de l'art. Pour n'être pas froid, pour vivre de sa vie propre, le personnage allégorique ne doit pas s'enfermer dans les bornes étroites d'un symbole ; un enfant, quelles que 220 soient d'ailleurs les idées qu'il représente dans une oeuvre d'art, doit être avant tout un enfant ; il faut que nous puissions l'admirer pour lui-même et non pas seulement pour la conformité de ses gestes et de son attitude avec quelque fait de l'ordre moral ou physique ; une logique trop rigoureuse serait ici le fléau de la poésie ou de l'art ; quelle gêne pour l'artiste s'il fallait tout combiner, actions, mouvements, place, expression, direction du regard, de manière à ne rappeler, par tant de moyens, qu'une seule et même chose! Cette unité pourrait charmer l'esprit; elle glacerait le sentiment. Le sculpteur qui a exécuté le groupe du Vatican a peut-être été plus fidèle à l'allégorie que le peintre de Philostrate : mais cette fidélité n'est point et ne pouvait être absolue. Les enfants qui jouent avec l'ichneumon et le crocodile, ne sont plus les coudées, à proprement parler ; leur rôle serait de monter, de monter sans cesse. Beaucoup sont sur le même plan ; chacun devait avoir sa place déterminée par le degré de hauteur qu'il annonce. D'ailleurs il faut les compter pour reconnaître en eux les coudées du Nil; et si nous n'avions pas Pline l'Ancien ou Philostrate, nous aurions pu méconnaître assez longtemps l'intention de l'artiste. Un interprète moderne , qui n'a pas trouvé l'allégorie assez claire, a proposé de représenter la crue du Nil par un génie mettant le. Si l'on ne veut pas en effet que des enfants, même allégoriques, représentent avant tout les goûts de leur âge, il faut adopter ce système, contraire à toute poésie. Outre le Nil et les enfants, Philostrate mentionne dans sa description un démon éthiopien, espèce de géant qui règle le cours du Nil. Dans quelle attitude nous représenterons-nous ce personnage? Un critique a fait remarquer que la présence d'un pareil géant, touchant le ciel de sa tête, devait être d'un effet étrange dans le tableau. Oui, sans doute, si le géant, placé au premier plan, occupait tout l'espace entre le bord supérieur et le bord inférieur du tableau. Mais rien ne nous force à faire cette supposition. Le dieu était vu dans le lointain ; il posait son pied sur l'horizon ; sa tête se perdait dans les nuages; il paraissait grand sans couvrir, dans le champ de la peinture, un espace considérable. Si par exemple, quoique relégué au dernier plan, il avait les dimensions du Nil, l'imagination du spectateur devait sans peine le concevoir comme un être d'une taille prodigieuse. Les archéologues ont cherché l'origine de cette croyance à un démon égyptien. Démocrite et d'autres philosophes de l'antiquité pensaient que la crue du Nil devait être attribuée aux pluies abondantes qui ont lieu en Éthiopie. Mais les pluies sont envoyées par le Verseau, et le Verseau est, aux yeux des Grecs, un jeune homme qui penche une urne. Voilà déjà l'inondation de l'Égypte qui est l'ouvrage d'un génie céleste. D'un autre côté, pour régler le 221 cours d'un fleuve qui sort de terre, le Fleuve lui-même ou le génie qui l'alimente, ne saurait mieux faire qu'en posant le pied sur les sources : le Verseau fut donc conçu comme un géant qui avait la tête dans les astres et les pieds sur le sol de l'Éthiopie, à l'endroit où jaillissaient les eaux du Nil. Un fragment de Pindare nous parle d'un colosse de cent brasses qui par le mouvement de ses pieds faisait déborder le Nil. Nous ne savons si Pindare est l'auteur de cette fiction ; mais qu'il faille l'attribuer à ce poète, ou au fonds commun des légendes mythologiques, on se rend à peu près compte de quel travail d'imagination elle est sortie. C'est le point principal, dans ces questions obscures de priorité d'invention. Quelle que soit l'origine de cette fiction, l'image était grande et belle, et devait tenter un artiste ; la difficulté était de la faire entrer, avec ses proportions, dans le cadre d'un tableau. Nous croyons avoir retrouvé la façon dont le peintre avait résolu le problème. Museo Pio Clementino, I, 88 ; Bouillon, I, 61. C'est l'objection de Friederichs, Die Phil. Friederichs, die Philostratischen Bilder, p. C'est aussi le sentiment de Brunn Journal de Fleckeisen, 1871, p. Le Scholiaste des Phénomènes d'Aratus 282 nous apprend que ce géant était regardé par les commentateurs de Pindare comme Ganymède, et que Ganymède était un autre nom du verseau. Philostrate dans la Vie d'Apollonius, VI, 26, parle aussi de ce démon, gardien des sources du Nil. Οὐδὲ ἐστεφάνωνται τὰς κεφαλὰς ὡς ἀποχρώσης αὐτοῖς τῆς κόμης. Πτερὰ δὲ κυάνεα καὶ φοινικᾶ καὶ χρυσᾶ ἐνίοις μόνον οὐ καὐτὸν πλήττει τὸν ἀέρα ξὺν ἁρμονίᾳ μουσικῇ. Οὐ δὲ κλιμάκων δέονται πρὸς τὰ δένδρα παρ´ αὐτοῦ· ὑψοῦ γὰρ καὶ ἐς αὐτὰ πέτονται τὰ μῆλα. Καλὸν τὸ αἴνιγμα· σκόπει γάρ, εἴ που ξυνίημι τοῦ ζωγράφου. Φιλία ταῦτα, ὦ παῖ, καὶ ἀλλήλων ἵμερος. Λέξω καὶ τὴν πάλην· καὶ γὰρ τοῦτο ἐκλιπαρεῖς. Μηδὲ ὁ λαγὼς ἡμᾶς ἐκεῖνος διαφυγέτω, συνθηράσωμεν δὲ αὐτὸν τοῖς Ἔρωσι. Τὸ δὲ ἄρρεν σπείρει τε, ὡς φύσις ἀρρένων, καὶ ἀποκυΐσκει παρ´ ὃ πέφυκεν. Ταῦτα μὲν οὖν καταλίπωμεν ἀνθρώποις ἀδίκοις καὶ ἀναξίοις τοῦ ἀντερᾶσθαι, σὺ δέ μοι τὴν Ἀφροδίτην βλέπε. Les Amours font la récolte des pommes, comme tu vois; ne sois pas surpris de leur nombre, car ces enfants des Nymphes, qui gouvernent toute la race mortelle, sont innombrables en raison des innombrables désirs de l'homme. II est, cependant, dit-on, un amour céleste qui a dans le ciel des fonctions divines. L'agréable parfum qui s'exhale du verger ne vient-il pas jusqu'à toi? Plantés en lignes droites, ces arbres laissent entre eux de larges avenues pour les promeneurs ; les allées sont bordées d'une herbe fine qui peut tenir lieu d'un lit de repos. Aux extrémités des branches pendent des pommes dorées, couleur de feu ou blondes comme un rayon de soleil qui invitent l'essaim tout entier des amours au rôle de vendangeurs. Les carquois rehaussés d'or, ou tout en or, et remplis de leurs flèches, toute la bande s'en est dépouillée; légère, elle prend ses ébats, après avoir suspendu cet attirail aux pommiers; les manteaux brodés sont étendus sur le gazon, où ils brillent de l'éclat de mille couleurs. Les Amours n'ont point sur la tête de couronnes de fleurs, leur chevelure leur est une parure suffisante, leurs ailes bleu d'azur ou couleur de pourpre, quelques-unes dorées, font presque entendre en battant l'air un 222 son harmonieux. Les belles corbeilles dans lesquelles ils déposent les pommes! Que de sardoines, que d'émeraudes, que de perles véritables s'y montrent enchâssées. C'est l'ouvrage d'Héphaestos, n'en doutez point mais d'échelles de sa façon pour monter sur les arbres, point n'est besoin, ils prennent leur vol et atteignent les pommes d'emblée. Pour ne point parler de ceux qui dansent en choeur, qui courent, qui dorment ou qui mordent dans les pommes à belles et joyeuses dents, considérons à quel genre d'amusement se livrent ceux-ci. Ces quatre amours, les plus beaux de tous, se sont séparés de leurs compagnons ; deux d'entre eux se lancent une pomme l'un à l'autre, les deux autres se renvoient une flèche de la même façon ; d'ailleurs la menace n'est point sur leur visage, chacun d'eux tend sa poitrine, pour recevoir là, non ailleurs, le trait de son adversaire. C'est une belle allégorie ; vois, si je comprends bien le peintre. Amitié et tendresse mutuelle, voilà le mot de l'énigme. Ceux qui jouent avec la pomme en sont aux débuts du désir ; aussi l'un lance une pomme après l'avoir baisée, et l'autre étend les mains pour la recevoir; on voit clairement qu'il la baisera une fois reçue, et la renverra à son camarade. Quant à notre paire d'archers, liés par un amour déjà ancien, ils travaillent à le fortifier. Oui, les deux premiers jouent pour aider un amour naissant, les autres manient l'arc pour que le désir ne meure point en eux. Ces autres amours qu'entourent un grand nombre de spectateurs, en sont venus aux prises dans l'emportement de la colère, on dirait des lutteurs. Je vais t'expliquer cette lutte, puisque tu le désires vivement. L'un d'eux, voltigeant autour de son adversaire, l'a saisi par les épaules ; il le serre à l'étouffer, il l'enlace de ses jambes; l'autre, loin de se rendre, loin de fléchir, se dresse avec effort, desserre la main qui l'étreint, il a tordu un des doigts, si bien que les autres se trouvent isolés et forcés de lâcher prise. L'amour ainsi torturé éprouve une vive douleur et mord l'oreille de son adversaire ; les amours qui le regardent s'irritent d'un procédé si injuste, d'une telle violation des lois de la lutte, et lapident le malheureux à coups de pommes. J'aperçois aussi un lièvre qu'il ne faut point laisser nous échapper; chassons-le en compagnie des amours. Il était blotti sous les pommiers et se régalait des fruits tombés à terre plusieurs sont restés là, à demi rongés ; mais voilà nos amours qui le poursuivent, qui l'effraient, l'un par des battements de mains, l'un par des cris perçants, l'autre en agitant sa chlamyde ; les uns volent au delà de la bête, en poussant des cris; les autres courent après lui, le suivant à la piste. En voici un qui a pris son élan pour se précipiter:sur la proie, mais l'animal s'est dérobé ; un autre veut 223 mettre la main sur la patte du lièvre ; mais à peine l'a-t-il saisie qu'elle lui échappe ; aussi de rire tombant les uns sur le flanc, les autres la tête la première, les autres à la renverse, tous de différentes manières, suivant qu'ils ont manqué la bête d'une façon ou d'une autre. Aucun ne lance une flèche : ils s'efforcent de prendre le lièvre vivant comme l'offrande la plus agréable à la déesse Aphrodite. Tu sais en effet que le lièvre passe pour avoir reçu d'Aphrodite la plupart de ses instincts ; on dit que la femelle pendant qu'elle allaite ses petits devient mère de nouveau, qu'elle nourrit la nouvelle portée avec le lait de la première, puis qu'elle conçoit encore et qu'en aucun temps elle ne cesse d'être pleine ; quant au mâle, non seulement il féconde la femelle, ce qui est dans son rôle de mâle, mais il conçoit lui-même, ce qui est contre nature. Aussi les amoureux sans délicatesse, persuadés qu'il y a en cet animal quelque vertu persuasive, favorable à l'amour, s'en servent pour faire violence à l'objet de leur tendresse. Mais laissons ce procédé aux hommes sans loyauté, indignes d'inspirer l'amour, et tourne les yeux vers Aphrodite. Tu vois là-bas cette grotte creusée dans le rocher, de laquelle s'échappe, reflétant l'azur sombre du ciel et le vert des pommiers, une source d'eau limpide qui se divise en canaux pour arroser le verger? Sois certain qu'il y a là une statue d'Aphrodite parée, j'imagine, par les Nymphes, pour la remercier de les avoir rendues mères dés Amours, mères de si beaux enfants. Quant à ce miroir d'argent, à cette riche sandale dorée, à ces agrafes d'or, ce sont toutes offrandes parlantes; elles me disent qu'elles sont consacrées à Aphrodite ; cela est écrit d'ailleurs et nous lisons que ces dons viennent des Nymphes. Les Amours de leur côté offrent les prémices des pommes, et debout en cercle ils demandent dans leur prière que leur verger soit toujours aussi beau. Ce tableau a été l'objet d'une critique ingénieuse. Les Amours, a-t-on remarqué, nous y sont présentés tantôt comme des êtres allégoriques, tantôt comme des enfants aimables qui s'amusent pour leur propre compte. Danser, courir, folâtrer, ce sont là des actions qui nous intéressent par elles-mêmes et qui n'ont rien de symbolique; au nombre de ces actions, on peut compter celle de cueillir des pommes et celle de courir après un lièvre, malgré l'interprétation de Philostrate. Si le peintre s'était contenté de repré- 224 senter ces amusements ou autres semblables, il aurait usé de son droit ; mais il nous montre deux enfants qui se renvoient une pomme, après y avoir déposé un baiser, ce qui est la marque d'un amour naissant, et deux autres enfants qui lancent une flèche l'un contre l'autre et tendent leur poitrine pour recevoir le trait, ce qui témoigne d'un amour en pleine activité, et désireux de se fortifier par l'exercice. Ces deux groupes, surtout le dernier car pour le premier on pourrait encore contester l'interprétation de Philostrate , introduisent le symbole dans la composition, et par ce seul fait l'unité est détruite. Ici ce sont des enfants qui prennent leurs ébats; là ce sont des Amours jouant, comme il leur convient, leur rôle de personnages allégoriques. Dirons-nous, pour excuser le peintre, que les explications de Philostrate sont incomplètes et que tout est symbole dans le tableau? Ces considérations nous paraissent plus spécieuses que justes. Elles supposent d'abord une théorie de l'art, sujette à contestation. Le personnage allégorique a, pour ainsi dire, une double nature, il est à la fois une idée et un être vivant ; les Amours représentent nos désirs, mais en revêtant les formes de l'enfance, ils en prennent aussi les goûts, les caprices, les passions ; ce sont là deux éléments divers ; qu'un artiste accentue chez l'un de ses Amours le caractère du symbole ; qu'il mette en relief chez l'autre les traits distinctifs de l'enfant, de manière à nous donner dans un même tableau l'idée parfaitement claire de cette double nature, n'a-t-il pas atteint son but? Dirons-nous que l'unité est brisée, parce que tout n'est pas rigoureuse ment allégorique dans une composition qui admet l'allégorie? La véritable unité du personnage allégorique ne consiste-t-elle pas dans l'union d'une vie propre et du symbole? Mais ici nous n'avons pas même à. Dans le tableau décrit par Philostrate, toutes les actions des Amours pareront allégoriques, si au lieu de considérer les Amours comme les génies des désirs amoureux, on les regarde comme les génies de tous nos désirs, quels qu'ils soient. Et c'est bien ainsi que l'a entendu Philostrate; nous en avons pour preuve la première phrase de sa description : « Ces enfants des Nymphes, dit-il, sont innombrables, en raison des innombrables désirs de l'homme. » Or il n'est dans la peinture aucun enfant dont l'action ou l'attitude n'ait quelque rapport avec un de nos désirs : Les Amours récoltent des fruits, poursuivent un lièvre, désir de jouissance et de possession, sans compter que les fruits sont un symbole de fécondité et que le lièvre est un animal particulièrement consacré à Aphrodite. Des Amours, armés de l'arc, offrent leurs poitrines aux coups I'un de l'autre; désirs qui cherchent à se fortifier, dit Philostrate ; en tout cas désirs réciproques, ac- 225 cueillis de part et d'autre avec bonheur. Un Amour mord dans une pomme ; appétit ou gourmandise, c'est toujours un désir ; un Amour dort sur le gazon des avenues ; c'est le repos des désirs. Deux Amours sont aux prises : c'est la lutte de deux désirs contraires; l'un mord l'oreille de l'autre; c'est le désir encore sous la forme de la jalousie ou de l'aversion. Des Amours lapident leur camarade infidèle aux règles de la lutte : c'est le désir se soumettant aux lois, en face du désir qui les enfreint. Laissons donc cette vaine chicane faite à. Philostrate; la théorie de l'allégorie qu'elle suppose est suspecte, et de plus ne s'applique pas au cas présent. D'autres critiques s'adressent moins au peintre qu'à Philostrate et ne nous paraissent pas plus justes. Comment le rhéteur, a-t-on dit, a-t-il vu qu'un des Amours a baisé la pomme avant de la lancer et que l'autre la baisera avant de la renvoyer? Voilà, pour chacun de ces deux Amours, au moins deux mouvements distincts que le peintre n'a pu représenter tout à la fois. L'autre ne peut que tendre les mains, il est vrai ; mais l'artiste n'a-t-il pu donner à ces mains une position, et au visage une expression qui permette de deviner ce qu'il fera, après avoir reçu la pomme. Le passage sur la lutte, ajoute-t-on, est un récit, et nullement une description; rien de moins exact. Peser sur les épaules de son adversaire, lui serrer la poitrine de ses jambes et le cou de ses bras, le mordre à l'oreille, tout cela peut avoir lieu en un seul et même instant ; desserrer la main de son ennemi et lui tordre un doigt sont deux actions successives ; mais comme les résultats de la première subsistent quand l'autre s'accomplit, le spectateur peut bien les décrire comme si elles s'accomplissaient toutes deux sous ses yeux. Maintenant comment nous représenterons-nous la place des différents groupes? La question ne saurait être résolue d'une façon précise ; on comprend en effet que dans une peinture qui renferme tant de figures, il y a mille manières de les placer et de les grouper. Les vendangeurs sont un peu partout, sans nul doute, tous les arbres du verger étant chargés de pommes. Mettons, si nous le voulons, de chaque côté du tableau les Amours armés de l'arc et les Amours qui se lancent une pomme ; ces deux groupes ainsi disposés donneront une espèce d'équilibre à toute la composition. Les lutteurs, avec leur cortège de spectateurs, formant sans doute la masse la plus considérable, occuperont le centre de la peinture. Le lièvre et les Amours qui le poursuivent seront sur un deuxième ou troisième plan, avec l'antre d'A- 226 phrodite et un autre groupe d'Amours. Ce sont là, d'ailleurs, de pures conjectures auxquelles chacun est libre d'en substituer d'autres. La question d'art écartée, la description de Philostrate intéresse par quelques endroits la mythologie et l'archéologie. D'après l'auteur, les Amours sont fils des Nymphes, et non d'Aphrodite, mère d'un seul Amour, celui qui a dans le ciel des fonctions divines. C'est aussi l'opinion de Claudien décrivant le séjour de Vénus dans l'île de Chypre : Mille pharetrati ludunt in margine fratres Ore pares, similes habitu, gens mollis Amorum. Hos Nymphae pariunt, ilium Venus aurea solum Edidit : ille Deos coelumque et aidera cornu Temperat, et suinmos dignatur figere reges ; Hi plebem feriunt. Pour les besoins de la circonstance, Claudien, qui chante le mariage d'Honorius et de Marie, étend un peu plus que Philostrate les fonctions de l'Amour céleste. Platon, distinguant l'un de l'autre l'Amour noble et l'Amour vulgaire, distinguait aussi deux déesses Aphrodites, l'une l'Aphrodite Uranie, mère du premier, l'autre l'Aphrodite populaire, mère du second. Quand les désirs de l'homme, sous l'influence de l'art et de la poésie, furent personnifiés par de jeunes enfants ailés, les poètes et les artistes leur donnèrent les Nymphes pour mères ; le choix était heureux puisque les désirs ont une étroite parenté avec l'Amour, et que les Nymphes composent le cortège d'Aphrodite, mère d'Éros. Les deux Amours qui se lancent une pomme personnifient, comme on l'a vu, un Amour naissant. La pomme était en effet chez les anciens le premier cadeau fait à l'objet aimé ; elle servait, pour ainsi dire, aux déclarations. « Ne cours pas applaudir des danseuses, dit le Juste à Phidippide, dans les Nuées; si tu te passionnes pour de tels spectacles, une courtisane te jettera la pomme et c'en sera fait de ta réputation ». On peut lire dans le Toxaris de Lucien comment Chariclée, une courtisane, s'y prend pour inspirer une passion violente au riche Dinias : « D'abord les billets commencent à lui arriver de la part de Chariclée ; puis viennent les couronnes à demi flétries, les pommes mordues et toutes les séductions que les prostituées dressent contre les jeunes gens ». Le lièvre à cause de sa fécondité, dont les anciens cherchaient la cause en dehors des lois de la nature, fut consacré à Aphrodite. Partant, il se trouve souvent joint aux Erotés. Telle peinture de vase nous représente trois Amours dont l'un tient un lièvre par les oreilles. Dans une peinture 227 d'Herculanum, nous retrouvons comme un fragment du tableau décrit par Philostrate ; un lièvre broute sous un arbre ; un Amour s'avance doucement, une main sur la poitrine comme pour retenir son souffle, l'autre relevée et prête à s'abattre sur la proie. On pourrait ne voir là qu'un des mille jeux, prêtés aux Amours par la fantaisie des artistes, sans aucune espèce d'intention allégorique. Des peintures de vases nous présentent des éphèbes qui reçoivent un lièvre des mains de leur amant. Ici il n'est plus permis de douter : nous avons devant les yeux les amants dont parle Philostrate, à cela près que le peintre n'a pas voulu nous les donner comme des hommes sans délicatesse, mais bien nous faire simplement connaître leurs intentions. Il nous reste encore une question à nous poser : pourquoi le lièvre de Philostrate, en dépit de l'histoire naturelle, ronge-t-il des pommes sous son arbre? Nous répondrons que le lièvre de Philostrate, qui est androgyne, qui a portée sur portée, ne saurait être un lièvre ordinaire broutant le thym et le serpolet. Aucun monument, que nous sachions, ne donne au lièvre une pareille nourriture. Un seul document, c'est trop peu pour que nous puissions conclure plutôt à une allégorie nouvelle qu'à une bizarrerie de l'artiste. Si la pomme et le lièvre nous ont paru mériter une explication, nous ne dirons rien des offrandes des Nymphes, sinon qu'elles paraissent choisies selon les usages de l'antiquité et le caractère même de la déesse. Nous n'avons pas besoin de savoir que Laïs offrit son miroir à Aphrodite pour comprendre la présence du miroir dans le tableau de Philostrate. Mais ce qui peut nous étonner davantage, c'est de voir que l'offrande est accompagnée, dans la peinture môme, d'une inscription. Cette inscription, dit un commentateur, ne ressemblait point à celles que les anciens peintres plaçaient dans leurs tableaux ; elle se composait de lettres mal formées, de vestiges de lettres, et cependant, ajoute-t-il, cela même n'était pas nécessaire. Jacobs nous paraît méconnaître ici un usage de l'antiquité : une inscription accompagnait presque toujours les offrandes faites à un dieu ; en comparant le texte de Philostrate et les inscriptions votives qui nous sont parvenues, on peut assurer qu'on lisait distinctement, dans le tableau, sur la porte du 228 sanctuaire : « les Nymphes à Aphrodite ». Le peintre avait reproduit ces mots, non pas tant pour instruire le spectateur, que pour être exact; loin de nuire à l'illusion, comme toute inscription parasite, celle-ci y contribuait ; elle était donc nécessaire : du moins elle n'était pas vaine. Gruyer dans sa belle étude sur Raphaël et l'Antiquité a déjà rapproché de la description de Philostrate une composition du Sanzio qui devait être exécutée pour les fresques de la villa Madame. Nous avons fait reproduire cette composition d'après un dessin anciennement attribué à Raphaël lui-même et à ce titre conservé au Louvre parmi les dessins du maître, bien que la critique moderne ne le reconnaisse pas pour authentique et penche à le regarder plutôt comme l'oeuvre de Jules Romain. Raphaël n'a pas complètement restitué le tableau antique ; il n'a guère fait que lui emprunter deux épisodes, la lutte et la poursuite du lièvre. Encore a-t-il modifié le sentiment et le sujet lui-même. Toute allégorie a disparu : ce sont des enfants qui jouent entre eux ; rien de plus. Les deux petits lutteurs s'enlacent de leurs bras ; l'un soulève l'autre ; il n'y a ni violence ni violation des lois de la lutte. Si des Amours s'apprêtent à lapider le groupe avec des pommes, on comprend, à leur sourire, que c'est un jeu de plus, non un châtiment. Le second groupe nous montre presque toutes les attitudes décrites par Philostrate; des Amours effraient le lièvre en battant des mains; celui-ci a volé au delà de la bête pour la recevoir si elle échappe ; ceux-ci sont tombés en différentes postures, mais ils tiennent le lièvre qui dans Philostrate n'est pas encore pris. Rien de plus naïf que toutes ces attitudes; rien de plus clair pour l'oeil que toute cette ordonnance; on reconnaît partout le goût, l'habileté suprême du grand artiste, et cette originalité qui ne l'abandonne même pas quand il s'inspire d'autrui. Il nous semble que plus d'une description de Philostrate se prêterait de même à une restitution où le sentiment moderne s'allierait heureusement à la conception antique. Nous n'inventons pas cette interprétation pour le besoin de la cause. De Nuptiis Honorii et Mariae, v. Platon, le Banquet, p. Jacobs cite encore Himérius, Ecl. Voir aussi le dialog. Stephani, Compte rendu, 1860, p. Voir Lenormand, Trésor de Num. Voir aussi une médaille de Cyzique, expliquée par Panofka Monum. LVII, 13, 5; Ann. Sur un vase de la collect. Pourtalès, un homme barbu tient un lièvre, près de lui est son éromène Trés. Lenormant propose une explication Trésor de Numisn:. Le lièvre, en sa qualité d'androgyne, est le symbole du λαγὼς, la parole, le verbe de Jupiter qui crée le monde par sa propre fécondité, de là le nom de λαγώς. Or μῆλον, la pomme, a du rapport avec μέλος;, un son agréable, mot qui lui-même peut rappeler le λόγος;, le son par excellence. Nous nous garderons de recourir à une conjecture aussi invraisemblable, pour justifier un ancien d'une invraisemblance en fait d'histoire naturelle. De la Fortune des Romains. L'inscription était sans doute ainsi conçue : Ἀφροδίτῃ Νυμφαί. Muller dans le Manuel d'archéol. Nicard, § 897, 5 fait une longue énumération des monuments qui représentent les jeux des amours. Nous y renvoyons le lecteur. Pour les Amours vendangeurs, voir au Louvre les na 352, 353 du Catalogue Fröhner, Bouillon, III, 46, G. II, 128 ; Zoega Bassiril. Voir aussi dans l' Archdolog. XIII, la reproduction d'un groupe en marbre découvert, il y a environ une dizaine d'années. L'auteur de l'article p. Εὑρὼν γὰρ πεδίον εὐρὺ καὶ σκηνὰς καὶ τεῖχος ἐν στρατοπέδῳ καὶ πόλιν συμπεφραγμένην τείχεσιν οὐκ οἶδ´ ὅπως οὐκ Αἰθίοπες οὗτοι καὶ Τροία ταῦτα, θρηνεῖται δὲ Μέμνων ὁ τῆς Ἠοῦς. Τοῦτον ἀφικόμενον ἀμῦναι τῇ Τροίᾳ κτείνει, φασίν, ὁ τοῦ Πηλέως μέγαν ἥκοντα καὶ οὐδὲν ἂν αὐτοῦ μείω. Καὶ ἰδοὺ ἐκκέκλεπται καὶ ἔστιν ἐπὶ τέρμασι τῆς γραφῆς. Ποῦ δὴ καὶ κατὰ τί τῆς γῆς; τάφος οὐδαμοῦ Μέμνονος, ὁ δὲ Μέμνων ἐν Αἰθιοπίᾳ μεταβεβληκὼς εἰς λίθον μέλανα. Cette armée est celle de Memnon ; les soldats ont laissé leurs armes pour exposer et pleurer le plus grand d'entre eux, atteint en pleine poitrine par une lance, le fameux frêne d'Achille, je suppose. En effet, 229 à la vue de cette vaste plaine, de ces tentes, de ce camp retranché, de cette ville entourée de fortes murailles, je ne puis m'empêcher de dire : voici les Éthiopiens, voici Troie et ce héros que l'on pleure est Memnon fils de l'Aurore. Il était venu au secours de Troie et fut tué, dit-on, par le fils de Pélée ; les deux adversaires étaient de taille à se mesurer. Vois en effet quelle étendue de terre Memnon couvre de son corps, et quelle belle gerbe de cheveux bouclés il entretenait, je pense, pour la consacrer au Nil, car si les bouches du Nil appartiennent aux Égyptiens, les Éthiopiens en possèdent les sources ; vois cette mâle beauté qui paraît encore, malgré des yeux éteints, vois sur le visage ce léger duvet, attestant que le héros avait l'âge de son vainqueur. Et l'on ne dirait point que Memnon fût noir, car sa figure, quoique d'un noir intense, laisse deviner je ne sais quelle fleur de jeunesse. Des déesses se montrent dans les airs; l'Aurore, se lamentant sur la perte de son fils, voile l'éclat du Soleil et prie la nuit de répandre, avant le temps, ses ombres sur l'armée afin qu'il lui soit possible, Jupiter consentant au larcin, de dérober le cadavre de son fils. Et regarde, le corps a été enlevé; on aperçoit Memnon sur les confins du tableau. Le tombeau de Memnon n'est nulle part ; mais Memnon lui-même est en Éthiopie, changé en pierre noire, son attitude est celle d'une personne assise, ses traits sont, j'imagine, ceux que tu lui vois dans le tableau. Cette statue est frappée par les rayons du soleil, qui en glissant, comme un plectre sur la bouche de Memnon, semblent en faire sortir une voix et consoler le jour par les sons de cette parole artificielle. COMMENTAIRE Rien de plus simple que la composition de ce tableau,. Elle se divise en trois parties. Memnon entouré et pleuré par ses soldats; l'Aurore et la Nuit dans les airs ; dans le lointain, une statue assise de Memnon. Memnon, dans le tableau de Philostrate, est un Éthiopien, noirci par les chaleurs d'un climat brûlant; dans les peintures de vases qui sont parvenues jusqu'à nous, il est représenté avec les traits, le teint et le costume d'un héros grec. D'où vient cette différence? Partant de ce principe que l'art grec recherche avant tout la beauté des formes et y sacrifie même la vérité historique, des commentateurs ont cru pouvoir conclure que Philostrate avait imaginé le tableau qu'il décrivait, et l'avait imaginé en homme qui connaissait peu les traditions de l'art antique. Nous croyons ce jugement peu fondé, du moins en ce qui concerne ce tableau. Il faut remarquer tout d'abord que si l'art antique a donné à Memnon le type grec, ce n'est pas par une raison esthétique, mais pour se conformer à la légende memnonienne. Dans Homère, Memnon est le plus beau des guerriers , épithète qu'il n'aurait pas sans doute méritée, s'il s'était présenté à l'imagination du poète avec le teint et sous les traits d'un prince africain. Dans Hésiode, dans Arctinus, dans Pindare, dans Simonide, Memnon est un Éthiopien, mais un Éthiopien d'Asie : son royaume est situé dans la Susiane ; son palais est à Suse, ville bâtie par Tithon, son père. S'il vient au secours de Troie, c'est à titre de prince allié et voisin, c'est comme défenseur de l'Asie contre les Perses, comme le protecteur naturel de l'Orient qui connaissait sa puissance et dont certains peuples, entre autres celui de Priam, selon quelques récits, étaient ses tributaires. Tant que cette légende eut cours dans l'antiquité, les artistes ne furent point placés dans l'alternative ou de s'écarter de l'exactitude historique ou de méconnaître une prétendue loi de leur art. Memnon n'était point noir, et satisfaisait de tous points aux conditions de l'idéal le plus pur. Polygnote l'avait représenté dans la Lesché à Delphes; Pausanias qui décrit l'oeuvre du peintre ne parle pas de la couleur de Memnon; mais on peut, sans hésiter, affirmer qu'il avait le teint d'un Achille ou d'un Ajax ou de tout autre héros du cycle troyen. Il est vrai que Polygnote avait placé un Éthiopien nu près du fils de l'Aurore : cet Éthiopien était-il noir; non sans doute, pas plus que Memnon ; il était là pour représenter l'armée, ou simplement l'écuyer du prince; non pour rappeler que Memnon eut dal être noir : si Polygnote avait, pour ainsi dire, dédoublé son personnage, afin d'être vrai sans altérer la beauté de Memnon, Pausanias, qui nous apprend que l'Éthiopien était nu, eut remarqué ce contraste et relevé cet étrange artifice du peintre. Mais Polygnote, sans doute, croyait, comme Pausanias lui-même, que Memnon était venu de Suse, non de l'Éthiopie africaine, au secours des Troyens. Plus tard et pour des causes que nous n'avons point à expliquer, le mythe de Memnon se transforme ou plutôt se déplace. Les Éthiopiens d'Égypte prétendirent que Memnon était né chez eux ; c'est dans le fond de l'Éthiopie, et non plus comme autrefois sur les bords de l'Esepus, fleuve d'Asie, 231 que les oiseaux, nés des cendres de Memnon, les oiseaux memnonides, venaient humecter leurs ailes. A quel moment la patrie de Memnon fut-elle ainsi transportée par la légende en Afrique? Les artistes adoptèrent-ils le nouveau type, offert par la poésie ou la légende à leur imitation? Le combat d'Achille et de Memnon, la psychostasie ou pesée des âmes, les lamentations sur le corps du héros, l'enlèvement du cadavre, nous sont représentés sur les vases ; nulle part Memnon n'a les traits ni la couleur d'un Africain. Mais la plupart de ces peintures, qui ont un caractère archaïque des plus marqués, ont été exécutées, ou reproduisent des peintures exécutées à une époque où Memnon était encore un Éthiopien d'Asie. On peut présumer, ce semble, avec quelque vraisemblance, que le type, consacré par l'art primitif, ne fut jamais abandonné complètement; mais aussi comment affirmer, même en l'absence d'oeuvres d'art, que jamais un artiste ne dut être tenté de peindre le nouveau Memnon des historiens et des poètes? Virgile, décrivant les peintures du temple de Junon, eût-il parlé du noir Memnon, nigri Memnonis arma , s'il ne l'avait vu ainsi représenté dans les peintures qui décoraient de son temps les portiques de Rome ou l'atrium des patriciens et dont les sujets étaient souvent empruntés aux poètes de la guerre de Troie? Dans tous les cas, qu'il traduisît ici quelque poète alexandrin ou qu'il songeât à quelque oeuvre d'art déterminée, il ne croyait pas qu'un visage noir fût d'un mauvais effet en peinture. D'ailleurs, si nous nous en rapportons à l'interprétation d'archéologues compétents, comme Gerhard et Panofka, il faut reconnaître qu'au moins, sur un vase, Memnon est représenté comme un nègre. Accuserons-nous après cela Philostrate ou l'artiste dont il décrit le tableau d'être en contradiction avec la pratique de l'art grec tout entier, en nous présentant sous le nom de Memnon un véritable Éthiopien de Méroé? La seule conclusion que nous puissions tirer de ce fait, c'est que la composition de cette peinture, quel qu'en soit du reste l'auteur, a été conçue après le règne d'Alexandre, sous l'influence d'une nouvelle légende. L'armée expose Memnon, dit le texte. Est-ce sur un lit de parade, selon l'usage grec? Le moment choisi pouvait être précisément celui où l'armée se prépare à relever de terre le corps du héros pour le déposer sur la couche funèbre. Dans cette supposition, les mots « ils exposent » doivent s'entendre de toute la cérémonie, même des apprêts antérieurs à l'exposition du cadavre : ainsi nous dirions de personnes réunies pour des funérailles : elles rendent les derniers devoirs au mort, elles l'ensevelissent. Peut-être aussi ne faut-il pas trop presser le texte de Philostrate ; si le lit de parade n'était pas très élevé, on conçoit qu'il ait pu dire, sans être trop inexact, que Memnon couvrait une vaste étendue de terre. On s'est demandé comment l'Aurore pouvait obscurcir le Soleil et prier la Nuit d'étendre ses voiles avant le temps sur l'armée. Welcker pense que l'artiste avait exprimé la tristesse du Soleil et l'approche de la Nuit par l'affaiblissement de la lumière, par un choix de couleurs appropriées. L'illustre archéologue a recours à cette supposition, parce que, dit-il, dans l'art grec on ne rencontre pas le Soleil voilé par un autre dieu. Il convient de remarquer d'ailleurs que le Soleil, du moins sous la forme d'un dieu, ne devait pas être représenté dans le tableau. Philostrate ne donne l'épithète d'aériennes qu'à des figures de déesses. Si la Nuit se portait au devant de l'Aurore, et si l'Aurore tendait les bras vers elle, comme pour l'implorer, il semble que Philostrate ait pu dire, sans être infidèle à l'esprit du tableau, que la mère de Memnon demandait à la Nuit de hâter son retour. La dernière partie de la description de Philostrate a été l'objet d'une méprise singulière. On a cru que le Soleil était représenté une seconde fois, éclairant et animant de ses rayons la statue de Memnon. Mennon apparaît dans le lointain ; est-ce sous la forme d'un cadavre enlevé par l'Aurore ou bien est-il déjà changé en statue? La métamorphose a eu lieu sans doute ; cependant Philostrate le laisse deviner plutôt qu'il ne l'affirme. En tout cas, quand il ajoute : « la tombe de Memnon n'est nulle part; Memnon lui-même est en Éthiopie, changé en une pierre noire », il ne parle plus du tableau, mais bien de cette statue colossale de Memnon. On en trouverait au. » S'il s'agissait d'une comparaison entre le cadavre qui est au premier plan, et la statue qui est sur le dernier, Philostrate n'eût pas perlé de cette ressemblance comme probable ; il l'eût simplement remarquée et constatée. Le soleil, dont il raconte ensuite la mystérieuse influence sur la statue, n'est donc point une image du soleil, que l'oeil pût distinguer dans le tableau ; l'auteur parle du soleil lui-même, au moment où il se levait sur l'Éthiopie; il ne décrit plus; il ajoute un simple renseignement à sa description. Suivant les auteurs anciens, Strabon et Pausanias , cette statue se trouvait près de Thèbes, et c'est près de Thèbes aussi que de nos jours on a retrouvé un colosse sur lequel on compte soixante-douze inscriptions en l'honneur de Memnon. On pourrait croire que Philostrate, peu rigoureux, comme beaucoup d'anciens, dans l'emploi des termes de géographie, entend par Éthiopie, non seulement le pays qui est au sud des cataractes du Nil, mais encore l'Égypte méridionale. Cette explication ne paraît pas cependant satisfaisante : car dans la Vie d'Apollonius de Thiyane, il fait dire à Damis, le disciple du célèbre thaumaturge, que la statue de Memnon se voit chez les Macrobiens, les plus reculés de tous les Éthiopiens. Letronne citant ce passage en conclut que Philostrate n'avait pas vu et ne connaissait pas l'Égypte. Nous retrouvons ici la même erreur, autorisant la même conclusion. Remarquons en outre que suivant Philostrate, la statue de Memnon était taillée dans une pierre noire, tandis que la statue connue aujourd'hui sous le nom de Memnon est d'un rouge brunâtre. Une belle occasion, pour le rhéteur, s'il avait connu ce détail, de nous montrer le rouge et le brun s'unissant dans la pierre pour rendre les deux teintes qu'il remarque sur le visage de Memnon, la couleur noire et l'éclat de la jeunesse I Friderichs, Die Phil. Lowenherz, dans son étude, Die Aethiopien, p. Lowenherz place le tableau de Polygnote dans la deuxième classe. Cette supposition est autorisée par des exemples ; nous somme; étonné toutefois que le texte de Pausanias ne soit pas plus précis sur ce point. Voir Overbeck, Die Bildwerk; Millingen, Unédit. L'auteur de cette étude cite d'ailleurs un grand nombre d'oeuvres d'art qui représentent, sinon Memnon, du moins des nègres. Dès lors pourquoi Memnon, k l'époque où il passa pour un Éthiopien d'Afrique, n'aurait-il pas été représenté avec tous les signes caractéristiques de la race noire? Αἱ δὲ μετέωροι δαίμονες. Voir Letronne, la Statue vocale de Memnon, p. Vie d'Apollonius, VI, ch. La Statue vocale de Memnon, p, 33. Nous renvoyons à cet ouvrage, chef-d'oeuvre de discussion scientifique, pour l'histoire de la légende Memnonienne, et celle de la statue qui porte les inscriptions en l'honneur de Memnon. Sur l'assimilation de Oumman, un des plus anciens rois de la Susiane, et plus tard d'Amenhotep III avec Memnon, voir Maspéro, Hist. Millin, qui admet le témoignage de Philosrate, ne reconnaît pas Memnon dans ce colosse d'un rouge brunâtre. Les argumenta de Millin sont d'ailleurs bien faibles et entièrement ruinés par la dissertation de Letronne. Sur les autres monuments relatifs à l'histoire de Memnon, voir Overbeck, Die Bildw, p. Ἀμυμώνη γὰρ ἡ Δαναοῦ θαμίζουσα ἐπὶ τὸ τοῦ Ἰνάχου ὕδωρ κεκράτηκε τοῦ θεοῦ καὶ στέλλεται θηρεύσων αὐτὴν οὔπω ξυνιεῖσαν, ὅτι ἐρᾶται. Tu as rencontré, je crois, dans Homère Poséidon voyageant sur les flots comme sur la terre, quand il se rend d'Eges vers les Achéens, et que la mer aplanie lui donne pour l'accompagner ses chevaux et ses monstres marins. Ce cortège qui frémit de joie sur les pas du dieu, tu le retrouves ici. Dans le poète, il est vrai, ce sont des chevaux de terre ferme; tu le reconnais, j'imagine, à leurs pieds d'airain, à leur vitesse que le fouet accélère ; mais ici ce sont des hippocampes attelés à un char ; leurs sabots sont faits pour effleurer l'eau, pour nager; leurs yeux ont 234 un éclat verdâtre ; on dirait, Zeus me soit témoin, on dirait des dauphins. Dans Isomère, Poséidon se montre irrité, indigné contre Zeus qui fait plier l'armée grecque et la condamne à la défaite : ici la joie brille sur son visage, anime son regard ; il s'agite comme ému d'une violente passion. En effet Amymone, à force de fréquenter les bords de l'Inachos, a vaincu le dieu, et le voilà qui s'élance à sa poursuite; la jeune fille ne connaît pas encore l'amour qu'elle inspire ; son air effrayé, son agitation, ses mains qui laissent échapper la cruche d'or, tout montre qu'elle est éperdue et qu'elle ne sait pour quel motif le dieu sort précipitamment des flots. Autour de ses membres d'albâtre l'or brille d'un éclat qui se reflète dans. Retirons-nous, mon enfant, devant la nymphe, car le flot s'arrondit déjà en voûte autour de l'épouse, un flot bleu aux teintes d'azur, mais que Poséidon doit assombrir par le mélange de ses eaux. Sur le territoire d'Argos , entre Lerne et la mer, s'étendait un bois de platanes bordé par deux rivières, dont l'une roulait des eaux d'une remarquable limpidité. Les Grecs la nommaient Amrymônê, c'est-à-dire l' Irréprochable. A quel dieu le pays était-il redevable d'une source aussi pure, aussi précieuse? Évidemment à Poséidon, le dieu adoré à Corinthe, à Nauplie, au dieu de la mer qui était aussi pour les anciens le dieu des sources et des fleuves. Mais dans quelle circonstances, à quel moment cette source avait-elle jailli du sol pierreux et desséché de l'Argolide? A l'origine même de la première ville, car toutes les fables locales se rapportent à la fondation de la première acropole, à la prise de possession du pays. Mais la première ville est Argos, et Argos a été bâti par Danaos, qui chassé de la Libye par la tyrannie de son frère Aegyptos débarqua avec ses cinquante filles sur les côtes du Péloponnèse. Amymone pouvant être un nom de femme, les Grecs décidèrent que c'était celui d'une des filles de Danaos. La légende rencontre ainsi le second personnage dont elle a besoin. Reste maintenant à mettre la jeune fille et le dieu en présence ; l'imagination grecque pourvoit à tout. Envoyée à la découverte d'une source, par son père, Amymone est assaillie par un satyre, qui sortit sans doute d'un bois voisin de platanes. Elle appelle Poséidon à son secours ; le dieu paraît, la délivre du satyre, découvre qui il est, et lui apprend qu'elle est réservée à Poséidon par le destin, et pour prix de sa soumission aux ordres du destin, fait jaillir d'un coup de trident la source qu'elle cherchait. La poésie et l'art s'emparèrent de cette légende. L'intervention du satyre 235 inspira sans doute à Eschyle l'idée de composer sur ce sujet un drame satyrique. Il ne nous reste de cette pièce que deux fragments, dont l'un est précisément cette parole de Poséidon : « Le destin veut que tu épouses, mais c'est à moi qu'il te donne. » Des oeuvres d'art nombreuses, peintures murales, peintures de vases, intailles, monnaies, nous présentent Poséidon et Amymone dans des attitudes diverses et groupés avec différents personnages. Tantôt le dieu armé de son trident poursuit la jeune fille qui se réfugie vers un rocher, sur lequel Eros est assis tandis qu'Aphrodite, un sceptre à. Ailleurs Amymone fuit d'un côté pendant qu'une de ses compagnes, peut-être une de ses soeurs, fuit de l'autre, et un Éros ailé couronne de bandelettes blanches le trident du dieu, comme pour montrer que le trident n'est pas là pour menacer, mais pour récompenser Amymone , en faisant jaillir du sol une source qui portera son nom ; ailleurs Amymone plie le genou et semble tomber : c'est la poursuite à son dernier moment : on sent que Poséidon est maître de sa proie. Puis viennent les scènes où Poséidon et Amymone semblent réunis par une tendresse mutuelle. Ici le dieu, au repos , tient le trident d'une main et appuie l'autre sur la hanche,. Ailleurs Poséidon frappe de son trident le rocher, en présence d'Amymone, ornée d'une riche coiffure et baissant la tête. Quelquefois enfin, Amymone debout, sa cruche en main, ou agenouillée comme pour puiser de l'eau, tient elle-même le trident, symbole de son union avec le dieu de la mer. Dans le tableau qui nous occupe particulièrement, l'artiste avait choisi le moment où Poséidon, épris d'amour, s'élance des flots pour l'enlever. Point de satyre ; Amymone n'a point crié au secours ; le dieu l'a vue du fond de son royaume; c'est assez pour justifier l'enlèvement. Poséidon ne poursuit pas la jeune fille un trident à la main ; il n'est point encore sorti des flots ; il est sur son char. La scène précède donc toutes celles que nous venons d'énumérer. L'apparition du dieu et la frayeur que cette apparition cause à la fille de Danaos, voilà quel en est le sujet. Le char a étonné un commentateur. Si Poséidon eût été un fiancé, a-t-on dit, s'il se fût agi d'un enlèvement comme celui de Proserpine par Pluton, le char, les hippocampes ou les tritons n'auraient point été déplacés ; mais Poséidon n'est ici qu'un amoureux qui cherche à surprendre une jeune fille dans la solitude des bois. Cette critique ne semble qu'une vaine chicane. Dans les récits de la fable, les dieux, tantôt cachent leur divinité, tantôt se montrent dans tout l'appareil de leur puissance aux mortelles dont ils sont épris. Leur nom seul peut être un moyen de séduction. Dans un dialogue de Lucien , Triton enlevant Amymone pour Poséidon qui s'est mis en embuscade, s'écrie : « Tais-toi, Amymone, c'est Poséidon. » Et la fille de Danaos répond : «Que parles-tu de Poséidon? Hé, l'homme, pourquoi me faire violence et m'entraîner vers la mer. » Poséidon apparaissant sur son char, et sortant des flots, c'était là une manière de se nommer qui valait bien l'entremise officieuse de Triton, qui lui-même sans doute aurait eu besoin de se faire reconnaître. D'ailleurs, puisque Poséidon parcourt les mers traîné par des hippocampes, on ne voit pas pourquoi il renoncerait à cet attelage pour aborder au rivage de Lerne et enlever une jeune fille qu'il aime. La première pensée du dieu, dans le dialogue de Lucien, est aussi de faire atteler son char; mais il change d'avis et appelle un des dauphins les plus rapides : «Je monterai dessus, dit-il, et j'arriverai ainsi plus vite. » Lucien veut évidemment railler les 237 dieux de la fable aussi impatients dans leurs amours que de simples mortels ; le peintre, qui n'a aucune intention satirique, supprime l'embuscade et garde le char ; au lieu de l'en blâmer, il conviendrait, ce semble, de l'en féliciter ; il a représenté le véritable Poséidon; il lui a conservé sa dignité ; Amymone n'a point à rougir de son ravisseur. Ainsi pensait sans doute le graveur d'une gemme que cite Welcker, d'après l'ouvrage de Bracci ; Poséidon y était représenté monté sur un quadrige d'hippocampes et se disposant à enlever Amymone. La licence, si c'en est une, dont usa un graveur sur pierres fines, comment aurait-elle été interdite à un peintre qui doit remplir un espace plus considérable, et par conséquent, déployer sous nos yeux la pompe et la solennité que comporte son sujet? Selon Philostrate, les flots se gonflaient déjà, se courbaient en forme de voûte pour cacher à tous les yeux l'union du dieu et d'Amymone. Comment devons-nous nous représenter ce phénomène? Welcker se demande si Philostrate continue à décrire le tableau ou bien si, s'inspirant d'un passage célèbre d'Homère , et anticipant sur les événements, il ne voit point en imagination le lit nuptial d'Amymone? Il nous semble que lé texte de Philostrate est formel ; les flots s'arrondissent déjà, dit-il ; il faut comprendre que les vagues se soulevaient et que la voûte liquide commençait à se former. Rien ne nous paraît d'ailleurs plus facile à représenter dans une peinture qu'un pareil phénomène; il n'y a rien là de contraire aux procédés et aux ressources de l'art. Mais rien de semblable, dit-on, n'existe dans les monuments figurés de l'antiquité? C'est là une erreur, aisée à réfuter. Sur un vase de style lucanien, Poséidon et Amymone sont enveloppés d'un arc de cercle, qui ne pouvant être pris avec quelque vraisemblance ni comme une grotte creusée dans une montagne, ni comme la voûte du ciel ni comme un nuage, a été regardé comme la figure sommaire de la chambre nuptiale, formée par les flots en l'honneur du dieu. Un miroir étrusque nous offre aussi des lignes délicates, décrivant derrière le dieu et Amymone un champ à peu près circulaire ; un monstre marin et un poisson qu'on y aperçoit semblent prévenir toute confusion ; la scène se passe sous les eaux; le trait indique l'extra-dos de la voûte merveilleuse. Reste à expliquer comment le flot qui est bleu et couleur d'azur doit être teint en pourpre par Poseidon. S'il s'agit de l'eau de la mer qui inonde le rivage et s'avance vers Amymone, il semble qu'elle devrait garder sa couleur, même après l'arrivée du dieu. Faut-il croire que le dieu, pour cacher ses amours ou pour épargner la pudeur de la jeune fille, assombrit volontairement ses eaux : précaution inutile et délicatesse invraisemblable. Mais 238 rappelons-nous que la scène se passe sur les bords de Tlnachos ; c'est l'Inachos sans doute qui commence à se gonfler, dans la pensée de Philostrate ; c'est l'lnachos qui, à l'approche du dieu, refoulé comme par une mer plus impétueuse, soulève ses eaux d'un bleu clair; le flot, en s'y mêlant, leur donnera une teinte profonde et sombre, une teinte de pourpre. Remarquons, pour terminer, que les anciens savaient tirer parti des reflets en peinture. « Autour de ses membres d'albâtre, dit Philostrate parlant d'Amymone, l'or brille d'un éclat qui môle sa lueur à celle de l'eau. » D'abord, qu'entendre par cet or? Ces ornements produisaient un double effet; placés entre la chair et l'eau, ils faisaient sans doute étinceler Tune et animaient par le contraste la mate blancheur de l'autre. Cratère de la collection de Vienne. Laborde, Vases Lamberg, II, 25 ; Elite céram. Peinture d'amphore, Gerhard, Auser. Cratère, décrit par Minervini, Bull. Coupe de la collection Jatta, Gerhard, A. Sur une monnaie de bronze frappée à Argos sous Antonin le Pieux, Imhouf. Sur une amphore de Nola, Minervini, ibidem. Sur un aryballos do la collection Catalano à Naples, Elite céramogr. Sur un cratère Amalthea, II, pl. Sur une Hydrie du Museo Nazionale à Naples, Heydemann, Catalogue, n° 198. Sur une amphore de stylo lucanien, collect. XIV, XV ; Elite céram. XXIX;, et sur un cratère du Museo Nazionale à Naples, Heydemann, Catal. Sur un bassin πελίκη , Elite céram. Sur une coupe de la coll. XI, 2, Élite céram. Overbeck, dans sa Mythologie de l'art Kunstmythologie: Poseidon décrit longuement les différentes oeuvres d'art, concernant le mythe de Poséidon et d'Amymone. L'Atlas et les planches qui accompagnent cet ouvrage reproduisent la plupart des compositions dont nous avons parlé. XIII, 3, 4, 6, 7, 9, 10, 1 1, 14, 15 et la planche III des gemmes, n°' 4 et 5. Nous avons préféré renvoyer à des ouvrages plus anciens, les planches d'Overbeck étant d'une exécution molle et défectueuse. Dialogues marins, 6, traduct. Odyssée, XI, 241 et suiv. Homère raconte les amours de Poseidon et de Tyro. Voir plus haut p. Miroir du Museo Gregoriano, Geruard, Etrusk. Τοὺς δὲ ἐπὶ μακροῖν τοῖν σκελοῖν, τοὺς περιττοὺς τὸ ῥάμφος ξένους οἶμαι αἰσθάνῃ καὶ ἁβροὺς ἄλλον ἄλλου πτεροῦ. Τὸ μὲν γὰρ δὴ ὕδωρ τοῦτο κάλλιστον τοῦ ἕλους πηγῆς αὐτὸ διδούσης αὐτόθεν, συνίσταται δὲ εἰς κολυμβήθραν παγκάλην. Διὰ μέσου γὰρ τοῦ ὕδατος ἀμάραντα νεύει τὰ μὲν ἔνθεν, τὰ δὲ ἐκεῖθεν, ἡδεῖς ἀστάχυες καὶ βάλλοντες ἄνθει τὸ ὕδωρ. Σημεῖον τῆς ᾠδῆς ὁρᾷς τὸ πτηνὸν μειράκιον· ἄνεμος τοῦτο Ζέφυρος τὴν ᾠδὴν τοῖς κύκνοις ἐνδιδούς. Γέγραπται δὲ ἁπαλὸν καὶ χαρίεν εἰς αἴνιγμα τοῦ πνεύματος, καὶ αἱ πτέρυγες ἥπλωνται τοῖς κύκνοις πρὸς τὸ πλήττεσθαι ὑπὸ τοῦ ἀνέμου. Ἰδοὺ καὶ ποταμὸς ὑπεξέρχεται τοῦ ἕλους εὐρὺς καὶ ὑποκυμαίνων, διαβαίνουσι δ´ αὐτὸν αἰπόλοι καὶ νομεῖς ἐπὶ ζεύγματος. Εἶτα ὁ μὲν ἐρᾷ καὶ ἐπικλίνεται καὶ ὑπεράλλεται τοῦ ποταμοῦ, τῆς δὲ θηλείας ἔτι ἀφεστώσης οὐκ ἔχων ἐπιλαβέσθαι κεῖται καὶ δουλεύει ζεύξας τὸ ὕδωρ, καὶ ἔστι τοῖς διαβαίνουσιν ἀσφαλὴς ὑπὸ τῆς τοῦ φλοιοῦ τραχύτητος. Le terrain est humide ; il produit le roseau et la fléole qui croissent naturellement, sans semis ni labour, dans les lieux marécageux. On distingue aussi dans le tableau le tamaris et le souchet , qui sont des plantes aquatiques. Des montagnes formant ceinture autour du marais perdent leur cime dans les airs; elles ne présentent pas toutes la même nature de terrain; le pin qui croît sur celles-ci annonce une terre fine et légère ; celles-là sont couvertes de cyprès qui attestent la présence de l'argile. Quant à ces sapins, ne disent-ils pas que la montagne qui les porte est rocailleuse et battue par les orages? Des sources jaillissent en bouillonnant de ces hauteurs, elles suivent les pentes et confondant leurs eaux font de la plaine un marécage; il n'y a d'ailleurs ni désordre ni confusion. L'art a dirigé le cours des ruisseaux comme l'aurait fait la nature, avec sa souveraine habileté. L'eau s'égare en de nombreux méandres où croît Tache en abondance , où les oiseaux aquatiques se livrent en toute sécurité à leurs ébats. Vois ces canards, avec quelle aisance ils nagent et soufflent l'eau comme par jets {! Que dirons-nous de la tribu des oies? La peinture est fidèle : ces oiseaux glissent sur la surface de l'eau, ils naviguent. Et ceux-ci perchés sur de longues jambes, tu les reconnais sans peine pour des étrangers, pour des personnages délicats ; ils ont chacun un plumage différent, leurs attitudes sont également variées. Celui-ci, au sommet d'un rocher, repose alternativement sur l'une de 239 ses deux pattes, celui-là sèche ses ailes, cet autre les nettoie, cet autre tient je ne sais quelle proie saisie dans l'eau, cet autre se penche vers le sol comme pour y chercher sa nourriture. Si nous voyons des cygnes montés par des Amours, n'en soyons point surpris ; car ce sont des dieux insolents qui dans leurs jeux ne respectent guère les oiseaux. Ne passons donc point sans donner un regard à cette course des amours, et à la partie de l'étang qui sert d'hippodrome ; nulle part l'eau n'est plus belle, car elle sort de la terre à l'endroit même, et trouve à remplir un bassin admirable. Au milieu de ce bassin les amarantes penchent de côté et d'autre leurs gracieux épis qui effleurent l'eau ; c'est autour de celte barrière que les Amours font courir les oiseaux sacrés, au frein d'or, celui-ci abandonnant les rênes, cet autre les serrant, cet autre les tirant de côté, cet autre tournant autour de la borne ; et il me semble les entendre qui exhortent les cygnes, qui se menacent les uns les autres, qui s'injurient, car tout cela se lit sur leurs visages. L'un démonte son voisin, l'autre l'a déjà démonté ; à cet autre il a plu de se jeter à bas de son coursier ailé pour se baigner dans le bassin. En cercle sur le rivage se tiennent les plus habiles chanteurs d'entre les cygnes; ils entonnent, j'imagine, le nome orthien , comme il convient pour de pareilles luttes. Ce jeune homme ailé que tu vois est là pour montrer que les oiseaux chantent, c'est le Zéphyre, ce dieu qui donne le chant aux cygnes. Le peintre l'a représenté délicat et charmant, par allusion au souffle léger du Zéphyre, et c'est pour être frappés par ce souffle, que les cygnes déploient leurs ailes. Vois encore ce fleuve sortir du marais ; il est large, il enfle légèrement ses eaux ; des chevriers, des pasteurs le passent sur un pont. Ne félicite pas le peintre de nous avoir représenté des chèvres bondissantes el capricieuses, d'avoir donné aux brebis une démarche paresseuse, comme si leur laine était un pesant fardeau; laissons les syrinx et ceux qui en jouent; ne louons pas la façon dont ces derniers pressent le roseau de leurs lèvres fermées, ce serait estimer la partie la plus humble de la peinture, celle qui relève de l'imitation, et ce ne serait pas rendre justice à la profonde raison du peintre, à son sentiment de la convenance, c'est-à-dire à ce qu'il y a de meilleur dans l'art. Où donc est cette profonde raison? L'artiste a jeté sur le fleuve un palmier pour servir de pont, et c'est une idée fort ingénieuse ; connaissant en effet ce que l'on dit des palmiers, à savoir qu'il y a parmi eux mâles et femelles ; renseigné sur leurs amours, sur la façon dont le mâle se dirige vers la femelle, l'enveloppe de ses branches et se presse contre elle, il a peint deux palmiers de l'un et l'autre sexe, un sur chaque rivage ; le mâle se baisse 240 amoureusement, franchit le fleuve, et ne pouvant encore atteindre le palmier femelle qui est loin, il se couche servilement, et unissant ainsi les deux rives, il devient un pont sur lequel le pied, maintenu par les rugosités de l'écorce, ne saurait glisser. Les représentations de marécages sont assez fréquentes sur les œuvres d'art antiques qui nous sont parvenues ; les peintures murales d'Herculanum et Pompéi nous en offrent plusieurs exemples ; sur les vases peints, même sur des vases d'argent, il n'est point rare de rencontrer des canards ou des oies qui se jouent au milieu des roseaux, des poissons isolés ou nageant en bande; sur tel vase conservé au musée de l'Ermitage , on voit même un motif qui n'est pas sans analogie avec un des motifs de notre tableau; des Amours sont engagés dans un marais et cherchent à saisir des canards qui fuient devant eux. Mais nulle part le sujet n'est plus développé que dans la peinture décrite par Philostrate. Nous distinguons trois parties principales, dans cette dernière composition : d'abord une contrée marécageuse, sillonnée en tous sens par des cours d'eau sinueux, couverte de plantes et peuplée d'oiseaux aquatiques; puis, sortant du marais, un fleuve; sur ce fleuve un pont de palmiers, sur le pont des pasteurs et des brebis; enfin, dans un autre endroit du tableau, sans doute à l'extrémité opposée, un bassin assez large, servant d'hippodrome à des Amours qui chevauchent des cygnes. Cette dernière scène ne doit pas nous surprendre, dit Phiiostrate, car les Amours sont des dieux insolents qui ne respectent guère les oiseaux. Elle ne nous surprend pas en effet, car la poésie et l'art nous ont accoutumés à ces jeux des Amours. Dans Claudien , les Amours suivant Vénus qui se rend vers Pallade et Célérine n'ont pas d'autre monture; « ils se poussent mutuellement, dit le poète, ils tombent, ils se relèvent ». Dans telle peinture de Pompéi, l'Amour monté sur un char est traîné par des cygnes qui déploient leurs ailes, et font effort de leur cou à peine fléchi par la tension des rênes; ailleurs l'Amour conduira un lion et un tigre ; ailleurs il presse des griffons avec le fouet ; ici l'attelage est composé de dauphins ; l'Amour se laisse tomber de son char ou plutôt se penchant en arrière, comme s'il devait tomber, il est soutenu par le battement de ses ailes ; là dans un stade cir- 241 culaire, limité par de doubles bornes, courent quatre biges attelées de biches ou de gazelles que dirigent quatre Amours, se disputant le prix de la course. Dans les bas-reliefs d'époque romaine, outre les amours et les chars, on aperçoit les ornements du cirque romain, les dauphins et les œufs marquant le nombre des courses, des colonnes, des mâts, la spina ou barrière qui divisait l'arène en deux parties. Le tableau décrit par Philostrate nous montre aussi cette barrière : seulement au lieu d'être une simple levée de terre, comme dans les hippodromes de la Grèce, ou un mur comme dans le cirque romain, ce sont des plantes de marais, des fleurs en forme d'épis, changement justifié par la nature du lieu et de la course. La borne devait être empruntée aussi à l'espèce des plantes aquatiques ; Philostrate qui la désigne par son nom technique de nyssa νύσσα nous laisse ignorer sous quelle forme elle était représentée. Dans ces peintures ou ces bas-reliefs antiques, les Amours se disputant le prix de la course sont seuls entre eux; des scènes empruntées à la vie réelle ne sont point placées par l'artiste à côté des scènes qui relèvent de la pure fantaisie. Ici, au contraire, plus ou moins loin du bassin où les Amours se livraient à leurs ébats, Philostrate nous montre des pâtres jouant de la syrinx, des chèvres escaladant les rochers, toute une peuplade d'oiseaux posés de façon à faire admirer la couleur de leur plumage ou la grâce singulière de leur altitude. D'un côté la nature, de l'autre des êtres allégoriques. Que penser de celte manière de composer? Nous n'hésitons pas aie croire. Certains paysages d'Herculanum et de Pompéi témoignent de la liberté dont usaient les artistes anciens; nous y rencontrons des constructions étranges, parfaitement inhabitables, des galeries élevées en pleine mer, des personnages nus au milieu des campagnes et mêlés à des personnages entièrement habillés, des êtres allégoriques à côté de la colline même ou du fleuve qu'ils personnifient, partout l'union la plus piquante du monde réel et du monde poétique. Pourquoi l'artiste eût-il relégué des Amours dans une contrée impénétrable aux hommes, aux animaux de toute sorte? Pourquoi eût-il éloigné chèvres et pasteurs de ses Amours, ou supprimé ceux-ci en conservant ceux-là? Pour ne point confondre des êtres de nature différente, répondent les esprits trop rigoureux; mais l'art ne se pique pas toujours d'une fidélité scrupuleuse aux lois de la logique, ou pour mieux dire, il suit une logique particulière, conforme à son objet; ne prétendant point donner pour réels des êtres imaginaires, il ne craint point que le voisinage de la réalité les dépouille de leur prestige aux yeux du spectateur ; ne cherchant point l'illusion, il n'évite pas ce qui peut 242 la détruire ; loin de rejeter une combinaison parce qu'elle est invraisemblable, il pourra se faire un jeu même de cette invraisemblance ; varier de tous points les éléments dont il dispose, les unir de cent façons diverses lui paraît être à juste titre, non seulement un de ses privilèges, mais un sûr moyen de plaire. Par l'habile transition, par la grâce de l'exécution, parle charme inhérent à ses sujets, il peut faire accepter, outre ces êtres de création poétique, leur association à des êtres réels. C'est affaire de mesure et de goût. Le jeune homme ailé qui représente Zéphyre a paru singulier. D'abord on ne sait trop quel est son rôle. Le chant des cygnes est-il produit par le souffle du Zéphyre glissant sur leurs ailes déployées, ou bien par le gosier de l'oiseau lui-même? Il n'y a point lieu, croyons-nous, de choisir entre ces deux suppositions; elles sont également vraies. Les ailes du cygne sont comme une lyre, que le Zéphyre toucherait de son souffle, ainsi que d'un plectre, et que le cygne lui-même accompagnerait de sa voix. Philostrate emploie ailleurs le mot de synaulia qui signifie concert, accompagnement, en parlant de ce concours prêté aux cygnes par le Zéphyre. Mais, d'un autre côté, n'est-ce point une idée subtile, vraiment digne d'un sophiste, que cette étrange collaboration d'un vent et d'un oiseau? Sans doute, mais si c'est là une fable qui avait cours dans l'antiquité, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un peintre l'ait prise comme sujet d'un tableau? Or plusieurs écrivains font allusion à cette résonance des plumes du cygne sous les caresses du Zéphyre , et d'ailleurs, l'origine de cette légende n'est-elle pas évidente, quand on voit l'oiseau nager en soulevant à demi ses ailes pour recueillir le vent. Autre difficulté : le Zéphyre, dans le tableau de Philostrate, n'a point, comme les vents dans plusieurs monuments figurés, une espèce de conque pour indiquer qu'il souffle : le Zéphyre, répondrons-nous, n'est point un vent violent; frêle et délicat, tel que le décrit Philostrate, il n'aurait point la force d'enfler un instrument; son haleine d'ailleurs, sans être renforcée et dirigée par quelque moyen artificiel, suffit au rôle qu'il joue. Enfin, si Ton n'a point reconnu sur les monuments ces vents qui, selon Pline, se servaient de leur robe comme d'une voile déployée , quoi d'étonnant que le Zéphyre de Philostrate, sans autre attribut que ses ailes, sans autre marque distinctive 243 que sa grâce juvénile, ne se rencontre nulle part. Encore nous trompons-nous : dans une peinture découverte à Pompéi, le Zéphyre, soutenu sous les bras par deux génies ailés, ailé lui-même, descend des airs vers une jeune femme à demi nue, sa fiancée sans doute; une trompette ou une conque serait sans doute déplacée dans un tel sujet; mais cette peinture prouve au moins que les artistes de l'antiquité savaient renoncer aux attributs ordinaires d'un dieu, quand ils croyaient pouvoir le faire avec avantage. Enfin, dit-on encore, en plaçant ce jeune homme ailé à côté des cygnes, l'artiste ne s'aperçoit pas que son intention ne saurait être devinée ; une bouche qui souffle et des ailes qui se soulèvent ne peuvent éveiller en nous que l'idée d'un vent impétueux : et si on nous explique que le Zéphyre se sert des cygnes comme de musiciens ou d'instruments de musique, nous serons tentés de rire ; car le Zéphyre peut souffler pour lui-même et là où il veut. C'est l'objection, croyons-nous, qui est ici subtile : les anciens procédaient avec simplicité ; de même qu'ils plaçaient, par exemple Pitho, la Persuasion, à côté d'un groupe de deux personnages, pour montrer que l'un se laissait persuader par l'autre , ils pouvaient bien mettre Zéphyre à côté des cygnes, pour montrer, non que le Zéphyre soulevait les ailes, mais bien que ces ailes résonnaient harmonieusement. L'allégorie n'est pas plus obscure dans un cas que dans l'autre. Que si d'ailleurs nous condamnons toute peinture ancienne, où chaque détail ne s'explique pas avec la dernière évidence, combien peu de compositions trouveront grâce à nos yeux! Dirons-nous aussi, pour ne taire aucune critique, qu'on a reproché au tableau de Philostrate, un contraste choquant entre la scène des Amours qui est gracieuse, et le caractère de la contrée qui semble agreste et sauvage? D'abord le sujet principal du tableau n'est point la course des Amours, c'est le marais lui-même. Le marais est à sa place au fond d'une vallée, au pied d'une montagne couronnée de pins et de cyprès ; le bassin, qui n'est qu'un endroit plus profond du marécage, explique la présence des cygnes, et par suite celle des Amours. D'ailleurs le contraste pourrait être considéré ici comme plus agréable que déplaisant ; si les Amours sont des jeunes enfants, pleins de gaieté et de fraîcheur, un fond de paysage, formé de montagnes escarpées et de forêts sombres, ne saurait que faire ressortir davantage, ce semble, ces riantes qualités. Quant à 244 ce rapport étroit entre le paysage des anciens et la scène principale, c'est là une théorie sujette à contestation. La peinture où Hésione est exposée à un monstre marin, n'offre point l'image d'une contrée sauvage, hérissée de montagnes chauves et couverte d'arbres dépouillés. D'un côté, il est vrai, s'élève un rocher nu, sans autre ornement qu'un petit temple et c'est là déjà un ornement , comme il convient de représenter un rivage ; mais à droite, on aperçoit sur une éminence, un arbre, qui quoique battu des vents, a conservé ses branches et ses feuilles. Un enfant dévoré par un crocodile n'est point une scène aimable ; c'est pourtant le sujet d'un paysage de Pompéi où sur deux langues de terre s'avançant dans les flots comme à la rencontre l'une de l'autre, des temples érigent leur gracieuse colonnade, des bosquets ou des arbres isolés étalent un épais feuillage. D'ailleurs le paysage, décrit par Philostrate, est-il donc d'un aspect si triste et si sévère? Des ruisseaux courant sur les flancs des montagnes, sillonnant la plaine par de nombreux méandres, des roseaux à la tige élégante, des tamaris au feuillage finement découpé, des rives bordées d'ache, des plantes effleurant l'eau de leurs épis qui retombent, deux palmiers, l'un droit, l'autre couché sur un ruisseau, qui enfle légèrement ses eaux, tout cela ne ressemble guère à une contrée sauvage et désolée. Mais, dit-on, cette forêt, formée de pins, de sapins et de cyprès, devait étendre au dernier plan, comme un sombre rideau de verdure, plus fait pour éveiller les idées tristes que pour servir de fond à des scènes aimables. Rien de moins juste : les arbres verts ne sauraient attrister un paysage que lorsqu'ils sont seuls ; unis à d'autres plantes d'une verdure plus tendre, ils leurs prêtent plus de grâce qu'ils ne leur en ôtent. Enfin, ce serait être injuste envers le cyprès que de le réserver uniquement pour des scènes de deuil ; dans certaines contrées, c'est un très bel arbre, aux formes robustes, aux jets imprévus, au feuillage tantôt serré, tantôt lâche, un arbre d'ornement, s'il en fut. Rien n'empêche de nous représenter ainsi les cyprès dont nous parle Philostrate. Le rhéteur admire beaucoup le peintre pour avoir montré les amours de deux palmiers séparés par un fleuve. Cette idée ingénieuse n'appartient-elle pas plutôt à Philostrate qu'au peintre? Un palmier servant de pont sur une rivière, c'est là un de ces accidents qui diversifient agréablement et par eux-mêmes un paysage ; pour le représenter, le peintre n'a point besoin d'autre motif; signification symbolique, allusion à quelque loi mystérieuse de la nature, tout doit céder, en peinture, au plaisir des yeux, à l'intérêt pittoresque ; il n'est point cependant défendu à l'art, son principal but une fois atteint, d'en rechercher un autre, et de parler à l'esprit, après avoir charmé le regard ; aussi ne saurions-nous contester à Philostrate 245 l'exactitude de son interprétation ni l'accuser de subtilité. Mais Terreur du sophiste consiste à généraliser ; ravi de trouver un peintre aussi ingénieux, un sophiste en peinture, il fait bon marché des qualités relatives à l'imitation; il ne regarde plus ni les chèvres qui bondissent ni les pâtres qui jouent de la syrinx ; comme si ces sujets, tout humbles qu'ils sont, n'étaient pas encore plus propices, que les deux palmiers, pour faire ressortir le talent du peintre, son habileté à saisir la vie, la grâce ou l'originalité de son interprétation. Remarquons d'ailleurs que Philostrate exagère ici sa propre pensée : la complaisance qu'il a misa à décrire le marais, ses plantes, ses oiseaux, les montagnes qui l'entourent, montre assez l'importance qu'il attache à ce qu'il appelle maintenant avec dédain la partie la moins noble de la peinture. Il ressemble assez à ces amateurs très prompts à s'enflammer pour une beauté de l'art, et tout prêts à faire consister l'art tout entier dans la manifestation de cette unique beauté. Soyons moins exclusifs à l'égard de Philostrate qu'il ne l'est à l'égard de la peinture ; son esthétique n'est pas toute dans cette théorie d'occasion ; la plupart des tableaux qu'il décrit et qu'il loue sont dépourvus de cette qualité, tant vantée à propos des palmiers, et il ne songe guère à en déplorer l'absence. Voir sur la représentation des marais par l'art antique Stephani, Compte r. Museo Borbonico, 7, p. Voir sur ces rapports entre les Amours et les cygnes, Otto Jahn Ber. Voir le catalogue du Louvre, Notice sur la sculpt. Dans les peintures mentionnées ci-dessus p. Voir les textes réunis dans Stephani, compte rendu de la commission archéol. Cette année contient d'ailleurs toute une longue et savante dissertation sur le rôle et le caractère du cygne dans la fable antique. Bartoli, le antiche lucerne, III, 12 ; Wöermann. Die Antiken Odysseelandschaften, pl. Voir un bas relief 4u Museo Capitolino, Ottf. Sur les aurae velificantes, Voir Wieseler, Phaeton, 61, l. Stepbani a cru les reconnaître dans une peinture campanienne qui représente Zeus entre deux Jeunes filles. Sur la Tour des Vents, à Athènes, Eurus seul a la conque. Le Zéphyre porte des fleurs dans les plis de ses vêtements. Müller, Manuel, Atlas, 37, 228 Traduct. Museo Borbonico; Millin, Gal. CCCXIII; Roux aîné, III, 5e série, pl. LIX; Roux aîné, 5e série, pl. Voir la description du cyprès oriental, dans Théoph. Καὶ ἡ χλαμύς, ἣν φορεῖ, κἀκείνη παρὰ τοῦ Ἑρμοῦ τάχα· οὐ γὰρ ἐφ´ ἑνὸς μένει χρώματος, ἀλλὰ τρέπεται καὶ κατὰ τὴν Ἶριν μετανθεῖ. Καὶ τὸ μὲν ἐξῳκοδόμηται, τὸ δὲ ἀναβαίνει, τὸ δὲ ἄρτι κατεβάλοντο. Φιλότιμοι καὶ ἡδεῖς οἱ λίθοι καὶ θητεύοντες μουσικῇ, τὸ δὲ τεῖχος ἑπτάπυλον, ὅσοι τῆς λύρας οἱ τόνοι. On dit qu'Hermès le premier s'avisa de construire une lyre avec deux cornes, une pièce transversale et une carapace de tortue, et qu'il donna cet instrument d'abord au dieu Apollon, aux Muses, enfin à Amphion le Thébain. Or Amphion qui vivait à Thèbes, lorsque cette ville n'avait pas encore de murailles, parla aux pierres le langage de la mélodie et les voici qui dociles à ses accents, accourent en foule. Tel est, en effet, le sujet de notre tableau. Considère d'abord la lyre pour voir si la représentation en est exacte. La corne, la corne du bouc bondissant , selon l'expression du poète, sert à la fois pour la lyre du musicien, et pour l'arme de l'archer : noires, dentelées, capables de porter un coup terrible , sont ici les cornes qui forment les montants ; pour les parties qui doivent être en bois, on a choisi un buis lisse, d'un grain serré. L'ivoire ne paraît nulle part, les hommes ne connaissant alors ni l'éléphant, ni l'usage qu'on devait faire un jour de ses défenses. L'écaillé est noire ; elle est peinte d'après nature, sur toute sa surface des cercles irréguliers inscrivent des ombilics de couleur blonde. Portée par le chevalet, la partie inférieure des cordes fait saillie et vient à la rencontre des ombilics ; au-dessous du joug, on dirait je ne vois rien de mieux pour les décrire qu'elles se sont couchées bien droites sur 246 la lyre. Et Amphion, que fait-il? Une chevelure, gracieuse par elle-même, erre gracieusement autour de son front, descend avec le duvet du visage le long de l'oreille, et se colore de reflets dorés ; elle tire un nouveau charme de la mitre, cet ornement aimable qui sied si bien à un joueur de lyre et que des poètes, auteurs d'hymnes sacrés , ont appelé l'œuvre des grâces. Je crois, pour ma part, qu'Hermès épris d'amour pour Amphion lui fit présent à la fois et de la mitre et de la lyre. La chlamyde aussi est un don d'Hermès ; car elle est d'une couleur variable et chatoyante, et passe par toutes les nuances de l'iris. Assis sur un tertre, il bat la mesure d'un pied ; de la main droite, armée du plectre, il frappe les cordes ; il les touche de la main gauche dont les doigts étendus font saillie, effet que la plastique seule me paraissait capable de produire. Que font les pierres? Elles accourent en foule, attirées par le chant ; elles écoutent, elles s'assemblent pour élever les murailles. Les unes sont déjà en place dans la construction, les autres sont en train de monter, les autres ne font que d'arriver. Ce sont là de charmantes pierres, en vérité, qui rivalisent de zèle et travaillent en mercenaires sous les ordres du musicien! Le mur a sept portes autant que la lyre a de cordes. Amphion était fils de la Thébaine Antiope et de Zeus. Il passait pour avoir construit les murailles de Thèbes , construites aussi par Cadmos. Pour concilier ces deux légendes, les uns racontaient que la Thèbes d'Amphion ayant été détruite par des peuples voisins fut relevée par Cadmos ; les autres, qui faisaient vivre Amphion après Cadmos, prétendaient que la citadelle seule avait été bâtie par le roi phénicien, et que les murs mêmes de la ville avaient eu le citharède pour architecte. A laquelle de ces versions Philostrate donne-t-il la préférence? A la seconde, selon toute probabilité, puisqu'il suppose qu'à l'époque d'Amphion Thèbes existait déjà, mais qu'elle n'était point entourée d'un mur. Amphion était un poète et un chantre inspiré. Les anciens, qui voulaient retrouver dans la légende l'explication de toutes choses, même de l'enthousiasme et du talent, imaginèrent qu'un dieu avait donné la lyre à Amphion 247 Quel dieu? Hermès, celui-là même qui, selon l'hymne homérique, avait construit la première lyre avec une écaille de tortue et des tiges de roseaux. Quel autre mieux que l'inventeur pouvait avec l'invention elle-même, donner le moyen de s'en servir excellemment? Mais pourquoi celte faveur? Tous les deux, l'homme et le dieu, avaient imaginé quelque chose de nouveau; ils étaient dignes de s'entendre. D'autres, au contraire, soutinrent que la lyre avait été donnée à Amphion par les Muses et Apollon lui-même ; et en effet, dans l'hymne d'Homère, Hermès, en gage de réconciliation, fait présent de la lyre à Apollon, et reçoit de ce dieu, en échange, la baguette d'or de la richesse et de la félicité. Ces différentes versions importent peu ; mais elles nous montrent toutes quelle haute idée les anciens se faisaient du génie poétique et musical d'Amphion. Quelques monuments figurés de l'antiquité nous montrent Amphion se disputant avec son frère Zéthos , c'est-à-dire le poète avec le chasseur, l'homme des exercices violents ou même du travail manuel, ou bien Amphion punissant, de concert avec Zéthos, Dircé l'implacable ennemie de leur mère Antiope ; aucun ne nous le représente jouant de la lyre et communiquant aux pierres l'intelligence et la vie. Pour expliquer le tableau décrit par Philostrate, nous sommes donc presque réduit aux paroles mêmes du rhéteur grec. Amphion assis sur un tertre et battant la mesure du pied, avait le côté droit tourné vers le spectateur ; en effet le chevalet de l'instrument était visible, et c'est du côté du chevalet que la main droite, armée du plectre, frappait les cordes de la lyre. Le fait est attesté par toutes les peintures de vases qui représentent un citharède. Les mêmes peintures laissent souvent apercevoir la main gauche les doigts étendus, un peu courbés à l'extrémité, derrière et entre les cordes de la lyre; telle était aussi, vraisemblablement, la position de la main gauche d'Amphion dans notre tableau. Gomment était faite la lyre? Philostrate nous la décrit, en termes assez obscurs, il est vrai, et susceptibles d'interprétations diverses. Cependant, à ne considérer que l'ensemble, nous pouvons nous la figurer telle qu'elle se 248 montre à nous sur un grand nombre de vases; un corps fait d'une écaille de tortue; un chevalet portant les cordes ; des montants formés de cornes de bouc ou de bœuf; sept cordes s'étendant à la fois sur la table d'harmonie, et entre le joug et l'écaillé, c'est-à-dire, à vide; ce qui n'avait pas lieu dans toutes les lyres ; dans quelques-unes, en effet, les cordes partant du joug ne dépassent pas le bord supérieur de l'écaillé où elles sont fixées. Suivant quelques anciens, Amphion avait ajouté une quatrième corde, appelée nété, à la lyre. Le peintre suit ici une autre tradition, puisque la lyre d'Amphion a sept cordes. Philostrate explique ce fait en sophiste ; selon lui, Thèbes ayant sept portes, la lyre qui en a construit les murs, ne pouvait pas avoir moins de sept cordes. Tel était aussi, ce semble, l'avis du poète Onétès auteur d'une épigramme sur la ville de Thèbes. » Philostrate et Onétès auraient pu d'ailleurs se dispenser d'aller chercher si loin une explication pour les sept cordes; d'après l'hymne d'Homère, la lyre montée par Hermès avait sept cordes , et c'est Hermès qui a fait don de la lyre à Amphion. Le costume d'Amphion mérite d'être remarqué. Les chantres, les citharèdes sont ordinairement représentés, la tête ceinte d'une coiffure élevée, le corps enveloppé d'une robe traînante ; quelquefois, pour Apollon, par exemple, la coiffure élevée est remplacée par une couronne de lauriers. Amphion porte la mitre, coiffure lydienne, destinée à rappeler peut-être qu'Amphion, gendre de Tantale, emprunta aux Lydiens, leur système musical, leur harmonie, dit Pausanias , mais au lieu d'avoir la longue robe, il est vêtu d'une chlamyde, manteau court, que l'art antique jette quelquefois sur les épaules d'Apollon citharède. Philostrate nous dit que les pierres venaient d'elles-mêmes se mettre en place pour servir de fondement ou pour exhausser le mur. On a vu là un dé- 249 tail peu fait pour être reproduit par la peinture. Comment représenter des pierres qui se meuvent, qui courent sur le sol ou s'escaladent les unes les autres? Cette critique nous semble peu fondée. De tout temps la peinturé a exprimé le mouvement ; quand un bras est levé comme pour frapper, on sent bien qu'il s'abaissera ; quand un corps est suspendu dans l'espace, on voit bien qu'il tombe. Laissez dans une peinture un mur inachevé : que sur la dernière pierre mise en place de nouvelles pierres s'appuient par un angle ou par une arête, nous comprendrons que le mur est en train de s'élever d'une assise; mettez devant cette muraille des pierres, non posées à plat sur le sol, mais dans un équilibre instable, et toutes penchées d'un côté ; nous penserons sans peine qu'elles sont animées d'un mouvement propre, qu'elles courent ou qu'elles roulent, qu'elles se dirigent vers un but. D'ailleurs, dès qu'Amphion est reconnu, le spectateur reconnaît aisément les pierres dociles dont parle la légende; si elles ne couraient pas, l'imagination les ferait courir; et qu'on ne dise pas que l'artiste doit tout expliquer au spectateur, par les moyens propres à son art; si c'est là une loi de l'esthétique, elle a été plus souvent violée qu'observée. Le peintre du tableau qui nous occupe n'avait point évidemment la prétention d'apprendre le merveilleux talent d'Amphion à ceux qui ne le connaissaient pas, mais de le rappeler à ceux qui le connaissaient. Homère, Hymne à Merc. Peinture de Pompéi, reproduite dans Museo Borb. Groupe célèbre du musée Farnèse, reproduit dans le Dict. Le manteau de Jason, décrit par Apollonius Argon. Voir surtout Gerhard auswl. XIII, XIV, XVI, XVII, XXI, XXIII, XXIV, XXV, XXVII, XXVIII. Einleit in die Vasenk. Σκόπει γάρ· νὺξ μὲν ἐκ μεσημβρίας ἐλαύνει τὴν ἡμέραν, ὁ δὲ ἡλίου κύκλος εἰς γῆν ῥέων ἕλκει τοὺς ἀστέρας. Ἀπαγορεύει δὲ ἡ Γῆ καὶ τὰς χεῖρας αἴρει ἄνω ῥαγδαίου τοῦ πυρὸς ἐς αὐτὴν ἰόντος. Ταῦτά τοι καὶ πάρεστι τοῖς ὄρνισιν, ὥστε ὅρα καὶ ψάλλειν αὐτοὺς οἷον ὄργανα. Καὶ ἡ γραφὴ ταῦτα οἶδε· ῥίζας γὰρ βαλλομένη ταῖς κορυφαῖς τὰ μὲν εἰς ὀμφαλὸν δένδρα αὗται, τὰς δὲ χεῖρας ὄζοι φθάνουσι. Φεῦ τῆς κόμης, ὡς αἰγείρου πάντα. Les Héliades pleurèrent, dit-on, des larmes d'or sur le sort de Phaéthon, ce fils du Soleil qui, dans sa passion pour le rôle de cocher, osa monter sur le char paternel, et qui n'ayant pas su tenir les rênes glissa et tomba dans l'Éridan. Selon les philosophes, des chaleurs excessives donnèrent lieu à cette allégorie ; mais pour les poètes et les peintres le char et les chevaux sont véritables. Le désordre règne dans le ciel; regarde en effet ; en plein midi la nuit chasse le jour et derrière le globe du soleil qui se précipite vers la terre paraissent les astres ; les Heures désertant les portes confiées à leur garde s'élancent en fuyant vers les ténèbres qui viennent au devant d'elles ; les chevaux échappés du joug n'obéissent qu'à la fureur qui les emporte ; en signe de détresse, la Terre lève les mains vers le ciel, d'où se précipite sur elle ce torrent enflammé. Le jeune homme lancé hors de son char roule dans l'espace ; sa chevelure est consumée par la flamme ; sa poitrine vomit la fumée ; il va tomber dans l'Éridan et donner à ce fleuve une célébrité fabuleuse. Car les cygnes qui depuis cette aventure soupirent mélodieusement, chanteront le jeune homme, et voyageant par bandes à travers les airs, iront redire ses malheurs au Caystre et à l'ïster, si bien que nulle part son histoire ne sera inconnue. Partout, sur leur route , ils trouveront Zéphyre, le léger Zéphyre, pour accompagner leur chant : car il leur a promis, dit-on, de pleurer Phaéthon de concert avec eux. C'est bien là en effet ce qui se passe sous mes yeux : le souffle du vent touche les cygnes, comme s'ils étaient de véritables instruments. Sur le rivage se tiennent les Héliades; car elles n'ont pas encore cessé d'être femmes, mais on dit qu'à force de pleurer elles sont devenues des arbres et qu'ainsi transformées elles répandent encore des larmes. Sachant cela, le peintre nous montre les Héliades prenant racine : les unes sont arbres jusqu'au milieu du corps ; les autres ont déjà les mains atteintes par les branches. Vois cette chevelure, c'est la cime d'un peuplier noir ; vois ces larmes, elles sont dorées ; ruisselant dans les yeux, elles égaient la prunelle de leur éclat et l'illuminent d'un rayon ; sur les joues elles étincellent au milieu des roses du teint ; sur la poitrine où elles tombent goutte à goutte elles ont déjà tous les caractères de l'or. Sortant de ses eaux tournoyantes, le fleuve se lamente. Il étend sous Phaéthon le pli de sa robe pour le recevoir dans sa chute ; puis il se fera le jardinier des Héliades. Servi par les vents et les gelées qu'il envoie, il 251 changera leurs larmes en pierres, il les recevra une fois tombées, et sur ses eaux limpides les transportera jusqu'à la mer. Ainsi s'en iront chez les barbares qui habitent les côtes de l'Océan ces paillettes provenant des peupliers. Les personnages énumérés par Philostrate prennent aisément place dans la composition; le ciel, semé d'étoiles, est occupé d'un côté par les Heures, qui disparaissent dans les ténèbres, de l'autre par la Nuit; la Terre a près d'elle les sœurs de Phaéthon, les Héliades, à demi transformées en peupliers; l'Éridan est représenté par le dieu lui-même et par un fleuve sur lequel nagent des cygnes. Les deux parties de la composition sont reliées par le corps de Phaéthon, précipité sur la terre du milieu d'un tourbillon de flammes et de fumée, et par le char et les chevaux, échappés à la main inexpérimentée du jeune homme. Selon un savant archéologue, Wieseler, notre tableau aurait été beaucoup plus riche en personnages. A côté de l'Éridan, placé à gauche, on aurait distingué l'Océan, avec ses représentants, c'est-à-dire avec les habitants des lies barbares, sur les côtes desquelles on recueille l'ambre. Des eaux du fleuve s'élevaient dans les airs une ou plusieurs figures de femmes, personnifiant les haleines du vent, les aurae. On voyait aussi l'Heure de midi fuyant devant les ténèbres. Enfin de jeunes enfants portant une étoile sur le front, représentaient les astres. En revanche Wieseler supprime la Nuit. Nous croyons que le savant archéologue a été trompé par les bas-reliefs d'époque romaine, où les personnages s'accumulent de manière à produire la confusion. Philostrate dit que les parcelles d'ambre qui tombent des peupliers dans l'Éridan, sont portées par le fleuve jusque dans la mer, et par la mer jusque dans les îles de l'Océan ; ces paroles peuvent-elles nous autoriser à croire que l'Océan était représenté dans le tableau? Nous voyons bien que Wieseler reconnaît, sur une pierre gravée , au lieu de l'Éridan, comme le voulait Lippert, la personnification de l'Océan, et au lieu de la Terre, une Océanide ; mais ses raisons, uniquement tirées de l'attitude des personnages, ne paraissent pas concluantes. Lorsque l'auteur grec parle des vents et des gelées qu'envoie l'Éridan, et qui changèrent en pierres les larmes des Héliades, il est également difficile de s'imaginer d'après ces mots que l'artiste eût donné aux vents une forme humaine; Wieseler n'assigne pas 252 une place aux Gelées dans la composition, et cependant il eût pu le faire avec le même droit. Si l'Heure de midi eût été représentée, Philostrate n'eût-il pas dit que la Nuit chassait cette heure, et non qu'en plein midi la Nuit chassait le jour? Wieseler cite un passage de Polybe d'après lequel l'Heure de midi , personnifiée, figurait dans la pompe du roi Antiochus; mais ce n'est point là un motif pour faire violence au texte de notre auteur. Dans un bas-relief de Rome qui a pour sujet la chute de Phaéthon , une figure de femme, aux ailes déployées, au torse nu, semble s'envoler loin du char et des chevaux; Wieseler lui donne le nom de Mésembria, l'Heure de midi, mais c'est une pure conjecture, qui fût-elle vraie, ne saurait prouver que Mésembria jouait un rôle dans le tableau de Philostrate. Phosphoros, l'étoile du matin, Hespéros, l'étoile du soir, se montrent quelquefois dans ces sortes de compositions, sous les traits d'enfants ailés qui portent des torches , mais Philostrate, en disant que le globe du soleil, précipité sur la terre, entraîne avec lui les astres, ne fait guère songer à une personnification. Les étoiles, qui apparaissent quand le soleil descend avec rapidité semblent comme amenées sur la voûte céleste, par ce mouvement même : ainsi dans Homère le soleil se couchant dans les flots de l'Océan tire derrière lui le voile de la nuit noire sur la terre fertile ; de même dans Euripide le soleil entraîne la brillante lumière d'Hespéros. Ce sont là, ce nous semble, des expressions poétiques, qui n'ont rien de conforme à la vérité scientifique, mais qui rendent compte de la succession et de l'ordre apparent des phénomènes célestes. On aurait tort de croire que ces mots d'attirer, d'entraîner ne peuvent s'appliquer qu'à des personnes ou des personnifications. Quanta la Nuit, Wieseler en conteste la représentation allégorique, avec beaucoup plus de raison qu'il ne suppose ce cortège de personnages fabuleux. Le texte de Philostrate, en effet, laisse à peu près le champ libre à l'interprétation. Examinons maintenant le tableau de Philostrate détail par détail. La Nuit chasse le jour, dit l'auteur, et derrière le globe du soleil paraissent les astres. Comment se représenter ce globe du soleil qui se précipite sur la terre? Le soleil n'est-il pas le char lui-même que conduisait Phaéthon et qui doit tomber avec lui? Faut-il penser avec Welcker que Phaéthon ou les chevaux ont la tête entourée d'un diadème de rayons qui ne les abandonne pas dans leur chute? Si Phaéthon représente la clarté du soleil, pourquoi l'auteur ne dit-il pas que Phaéthon par sa chute même plonge le soleil dans l'obscurité : si les chevaux, pourquoi ne parler que du globe du soleil? Wieseler, qui fait cette remarque, pense que c'est le char lui-même qui est ainsi désigné par notre auteur ; en effet, dit-il, sur une pierre gravée , on voit le char du so-seii entouré de rayons comme le soleil lui-même. Mais à cette conjecture ne peut-on pas opposer la même objection qu'à l'hypothèse de Welcker ; ce char entouré de rayons ne peut s'appeler un cercle ni un globe ; si on suppose «que le cercle lumineux s'est détaché du char et que le char tombe seul, cette disparité de fortune entre deux attributs du même astre, paraît étrange. Il ne reste, nous semble-t-il, qu'une supposition à faire, la plus simple de toutes : c'est que le soleil était représenté réellement dans le tableau. Des monuments de l'antiquité nous montrent des fleuves, des montagnes, des étoiles même, à côté des êtres qui les personnifient : pourquoi le soleil n'aurait-il pas figuré à côté du char que les anciens donnaient au soleil. D'ailleurs, dans la fable, la catastrophe de Phaéthon n'entraîne pas la chute du soleil lui-même ; Philostrate dit bien que le soleil se précipite sur la terre, mais c'est comme un astre qui se coucherait avec une vitesse inaccoutumée, et non comme un corps qui tomberait du haut de la voûte céleste sur nos têtes ; avec son cocher, le soleil a comme perdu la règle de ses mouvements; il est emporté par une force irrésistible, mais il ne dévie pas pour cela de sa route et n'est point pour cela expulsé de ses hauteurs. Nous nous demanderons maintenant avec Welcker pourquoi les Heures désertent les portes confiées à leur garde, pourquoi d'elles-mêmes elles courent au-devant des ténèbres qui envahissent le ciel. Présidant aux saisons, il semble qu'elles n'auraient de motif pour quitter leur poste que si le cours de saisons était bouleversé. Wieseler répond avec raison que le peintre n'a pas voulu nous montrer les déesses des saisons, mais bien les Heures du jour, ces compagnes « aux pieds agiles », du soleil, suivant l'expression d'un poète grec. Les ombres se répandant sur la voûte céleste, elles paraissent, elles, les déesses de lumière, se précipiter dans l'obscurité : c'est la Nuit qui dévore le jour. Mais quelles sont ces portes, ainsi abandonnées par les Heures? Ce ne sont point, dit Wieseler, les portes de l'Olympe ou du ciel, près desquelles doivent veiller les Heures des saisons; ce ne sont point non plus les portes du jour que Phaéthon a déjà laissées loin derrière lui, puisqu'il est à la moitié de sa route; Wieseler embarrassé prétend que ces portes désignent un zodiaque et prétend reconnaître sur un bas-relief romain un zodiaque dans une porte ornée de quelques signes zodiacaux. Cette explication 254 étrange ne semble guère admissible ; un zodiaque n'est point une porte, de quelque façon qu'on se l'imagine représentée ; d'ailleurs Philostrate parle de plusieurs portes. Il nous semble que tout devient clair si au lieu de considérer les heures comme rangées autour du char du soleil, nous les supposons placées à égale distance sur la voûte céleste, de manière à recevoir le soleil dans son cours, et à fixer, pour ainsi dire, ses différentes étapes-; elles sont alors chacune comme la gardienne d'une porte par laquelle il faut que le soleil passe ; d'ailleurs c'est par suite d'une même conception que les Heures des saisons peuvent être dites garder les portes du ciel. Combien y avait-il d'Heures dans le tableau de Philostrate? Notre auteur ne nous l'apprend pas et il est difficile de suppléer à son silence. Les Heures du jour étaient naturellement au nombre de douze ; mais, comme dans le tableau qui nous occupe l'ombre avait déjà gagné, en plein midi, une grande partie du ciel, sans doute plus de la moitié, le nombre des Heures visibles pouvait être fort restreint, sans que le peintre eût cessé d'être exact; hâtons-nous d'ajouter que l'exactitude n'était point ici de rigueur, et que, quelque fût l'espace encore éclairé par le jour au-dessus de l'horizon, l'artiste avait tout droit de ne nous montrer qu'une seule Heure. Il en avait peint plusieurs, comme le prouve le pluriel employé par Philostrate. Les nécessités de la composition pittoresque avaient sans doute déterminé le nombre de ces heures qui représentaient le jour, au moment d'un déclin prématuré. Si nous portons maintenant nos recherches sur l'attitude et le costume de ces heures, nous n'arriverons à aucun résultat satisfaisant. Les Heures que l'on rencontre sur les monuments antiques n'ont rien de commun avec les Heures du tableau de Philostrate ; ce sont les Saisons, c'est-à-dire les Heures de l'année et non les Heures du jour. Wieseler reconnaît cependant une Heure, sœur des nôtres, sur des bas-reliefs qui représentent les amours de Séléné et d'Endymion ; cette figure est tantôt ailée et tantôt ne l'est pas; elle est entièrement vêtue ou ne laisse à découvert que le sein droit; des cothurnes et une ceinture achèvent de lui donner l'air d'une chasseresse. C'est là, il est vrai, une Heure de nuit, non de jour ; mais on peut supposer avec assez de vraisemblance qu'entre les Heures du jour et de la nuit l'art antique ne mettait pas une différence marquée de costume. Quant à l'heure de Mésembria que le savant archéologue reconnaît, ou plutôt car il n'a pu la voir ailleurs signale sur un bas-relief qui représente la chute de Phaéthon , elle est ailée ; elle a la partie supérieure du corps entièrement nue; elle semble s'éloigner du char qui tombe, tout en jetant un regard de pitié et de terreur sur Phaéthon; nous avons déjà dit que nous ne pouvons prendre cette figure pour l'heure de Midi, mais il peut se faire, en effet, qu'elle représente 255 une Heure, ou plutôt les Heures du jour qui s'enfuient, chassées par l'invasion de la nuit. Les chevaux échappés du joug, dit Philostrate, obéissent à la fureur qui les emporte. Ces chevaux étaient sans doute au nombre de quatre ; le char du soleil, appelé partout un quadrige, est toujours représenté comme tel sur les monuments de l'art, excepté sur des pierres gravées où l'espace n'a pas sans doute permis un grand nombre de figures. On peut les concevoir, comme on les voit sur les bas-reliefs qui nous restent , s'emportant deux en un sens, deux dans le sens contraire, de manière à bien montrer qu'ils ne sont plus retenus par le joug et en même temps à présenter un arrangement symétrique. Sur les monuments, tantôt ils piaffent dans les airs, tantôt ils sont tout près du sol, tantôt ils ont l'encolure et les narines fièrement dressées et semblent s'élever dans les airs plutôt qu'en tomber , tantôt ils sont précipités la tête la première vers la terre et se tordent en vains efforts pour retrouver leur équilibre. « La Terre, poursuit Philostrate, lève les mains au ciel en signe de détresse. » Cette même déesse est représentée sur trois bas-reliefs qui ont pour sujets la chute de Phaéthon ; sur aucun elle n'offre la même attitude qu'ici. A demi couchée, reléguée dans un coin de la composition, tournant le visage tantôt du côté de Phaéthon , tantôt en sens contraire , elle paraît n'être là que pour désigner aux spectateurs le lieu de la chute, par opposition aux personnages ailés qui désignent le ciel ; d'une main elle tient la corne d'abondance, de l'autre des épis ou le coin d'un voile flottant au-dessus de sa tête ; ces attributs qui achèvent de la caractériser montrent bien que son rôle est celui d'une simple figure allégorique. Dans le tableau de Philostrate, au contraire, c'est une déesse atteinte par le malheur qui frappe Phaéthon, et elle témoigne sa douleur par une pantomime expressive. A quoi tient cette différence? La peinture recherche la vie et le mouvement ; si elle emploie les personnages allégoriques, elle les mêle à l'action ; elle ne leur permet pas de n'être là que pour la symétrie de la composition ou l'indication du lieu de la scène ; au lieu de laisser la terre, par exemple, se complaire dans le déploiement ou la contemplation de ses attributs, elle nous la montre affectée de tous les sentiments qui peuvent entrer dans une âme humaine, à la vue d'une catastrophe, comme celle de Phaéthon. Du reste la beauté du visage n'est altérée par aucun signe d'effroi. On peut supposer que l'attitude, sinon l'expression, était la même dans le tableau de Philostrate; le peintre y avait ajouté cependant des éléments nouveaux, la chevelure enflammée, la poitrine fumante, pour rendre le spectacle plus dramatique. D'ailleurs il s'inspirait de la fable qui racontait que Phaéthon avait été foudroyé par Jupiter. Philostrate, il est vrai, ne parie point de tonnerre et d'éclairs, et de ce silence Wieseler a voulu conclure que dans le tableau de Philostrate c'était le feu du soleil, et non celui de la foudre qui consumait l'imprudent ; rien de moins vraisemblable ; Phaéthon avait conduit pendant toute la matinée le char du soleil sans avoir à redouter les effets d'un pareil voisinage, comment, à midi juste, aurait-il été embrasé par les feux qui l'avaient épargné jusque-là? On remarquera que, dans la description de Philostrate, il n'est point question de la métamorphose en cygne d'un roi des Ligures appelé Cycnos. Cette légende racontée peut-être pour la première fois par Phanoclès , puis par Ovide , rappelée par Virgile , fut aussi adoptée, mais sans doute à une époque assez tardive, par l'art antique ; on voit en effet sur quelques bas-reliefs , à côté d'un cygne, un vieillard dans l'attitude du désespoir, qui peut être pris pour Cycnos, éraste et proche parent de Phaéthon. Philostrate ne connaît point le roi Cycnos ; mais on voit, d'après son récit, que la légende avait déjà prêté un rôle aux cygnes dans les aventures de Phaéthon ; ces oiseaux, que les Grecs considéraient comme des musiciens métamorphosés, étaient censés soupirer des plaintes mélodieuses sur la mort du jeune homme. Si la description de Philostrate est exacte, le peintre lui aussi avait ignoré Cycnos. Quant au Zéphyre, qui avait sans cloute sa place dans le tableau, si nous entendons bien le texte de Philostrate, nous ne le retrouvons pas dans les œuvres d'art qui ont pour sujet la chute de Phaéthon ; à moins qu'il ne faille le reconnaître dans ce jeune homme qui accompagne quelquefois le vieux Cycnos et que les archéologues, fort embarrassés pour lui trouver un nom, ont voulu faire passer tantôt pour Cupavo, le fils de Cycnos qui n'a peut-être jamais existé que 257 dans l'imagination de Virgile , tantôt pour Apollon ; hâtons-nous de dire que cette conjecture ne serait guère plus vraisemblable que les autres ; car ce jeune homme n'est point une figure ailée, comme devrait l'être Zéphyre, et ne paraît point faire attention à l'oiseau, au cygne, placé tantôt près et tantôt loin de lui. Il est à présumer que les auteurs de ces œuvres d'art et l'auteur du tableau décrit par Philostrate ont suivi deux légendes sensiblement différentes, au moins dans les détails. Les Héliades formaient sans doute dans le tableau un groupe fort intéressant. Quel était leur costume? Une pierre gravée nous les montre entièrement nues ; mais sur les bas-reliefs, elles sont vêtues ; en les supposant dans la peinture enveloppées du chiton, ce vêtement devait laisser, comme du reste dans certains monuments, la gorge à découvert, puisque, d'après Philostrate, les larmes des Héliades en tombant sur leur poitrine prenaient la consistance de l'or. Sur les monuments, tantôt la métamorphose est indiquée par un tronc d'arbre placé à côté des sœurs, ou par des branches qui semblent les enlacer ; tantôt les doigts de leurs mains se confondent avec des branches, si bien qu'on ne sait pas trop si les mains tiennent les branches, ou si les branches ont pris la place des mains ; sur telle médaille, leur tête se couronne d'une cime de peuplier, et comme elles sont toutes trois de face, que celle du milieu élevant de chaque côté la main à la hauteur de l'épaule la croise avec la main également levée de sa voisine, une nouvelle cime de peuplier vient se poser sur leurs doigts ainsi rapprochés. Que la peinture ait osé encore un peu plus que la sculpture ou la gravure, nous ne saurions nous en étonner. Entre l'Éridan des œuvres d'art que nous connaissons et l'Eridan du tableau de Philostrate, il existe une différence assez remarquable. Ce dernier, nous dit notre auteur, étend le pli de sa robe pour recevoir Phaéthon dans sa chute. Nulle part nous ne retrouvons ce geste ; le fleuve, à demi couché, se contente d'étendre la main vers le jeune homme ; d'ailleurs, loin de se lamenter, comme dans le tableau de Philostrate, il garde le tranquille visage d'une divinité inaccessible à toute émotion ; si ses traits expriment un sentiment, c'est plutôt celui de l'étonnement que de la douleur ; quelquefois même il détourne la tête soit pour se dérober la vue d'un spectacle qui l'attriste, soit plutôt par indifférence. D'ailleurs l'Éridan de Philostrate était-il représenté sous les traits d'un vieillard, comme sur tel 258 bas-relief , ou sous les traits d'un jeune homme, comme sur tel autre? S'appuyait-il sur une urne? Avait-il le front ceint d'une bandelette ou de feuilles de peuplier? L'auteur grec nous laisse ignorer entièrement tous ces détails. En résumé, nous ne saurions reconstituer de tous points, à l'aide des monuments qui nous restent, le tableau trop sommairement décrit par Philostrate. Ce sont là des œuvres qui appartiennent à deux arts d'imitation, mais à des arts dont les ressources, les procédés et l'idéal même sont tout à fait différents ; on a souvent remarqué que la peinture antique se rapprochait beaucoup plus que la nôtre du bas-relief ; ici, il y a plus de rapport entre la peinture moderne et le tableau de Philostrate qu'entre ce dernier et les bas-reliefs antiques, du moins ceux de la belle époque. Phaeth, eine archäologische Abhandlung von Fr. Pierre gravée de la collect. Maffei, Museo Véron, t. Ion 1149: Ἥλιον ἐφέλκων λαμπρὸν Ἑσπέρου φάος;. Bas-relief Depoletti à Rome. Bas-relief Borghèse, Millin, Galer. Intaille dans Bracci, Mémor. Par exemple, dans le bas-relief du Louvre. La figure est d'ailleurs restaurée. Voir sur cette question, Vieseler, Phaeth. Il n'y en a qu'une, selon Wieseler, sur le bas-relief Borghèse. Accoleius Lariscolus Guigniaut, Relig. Voir l'introduction, page 92. Bas-reliefs du iLouvre, de Florence, Depoletti, Sarcoph. Sur ce dernier bas-relief, il nous est impossible, malgré la dissertation de Wieseler Ann. Θηράσαντας δὲ αὐτοὺς καὶ δαῖτα ᾑρηκότας διαπορθμεύει ναῦς ἀπὸ τῆς Εὐρώπης ἐς τὴν Ἀσίαν σταδίους μάλιστά που τέτταρας—τουτὶ γὰρ τὸ ἐν μέσῳ τοῖν ἐθνοῖν—καὶ αὐτερέται πλέουσιν. Τὸ δὲ κάλλιστον αὐτῆς, ἡμίκυκλος περιέστηκε στοὰ τῇ θαλάσσῃ κιρροειδὴς ὑπὸ τοῦ ἐν αὐτῇ λίθου. Θολερὸν μὲν γὰρ ἔνθα λιμνάζει κιρροειδὲς δίδωσι, καθαρὸν δὲ ὅπου κρυσταλλοειδὲς ἐκεῖθεν, καὶ ποικίλλει τὰς πέτρας ἐν πολλαῖς διαπινόμενον ταῖς τροπαῖς. Ἡ ἀκτὴ δὲ ὑψηλὴ καὶ τοιοῦδε μύθου φέρει σύμβολα. Καὶ ὁ Ἔρως ἐπὶ τῇ πέτρᾳ τείνει τὴν χεῖρα ἐς τὴν θάλατταν, ὑποσημαίνων τὸν μῦθον ὁ ζωγράφος. Ἡ δ´ οἶμαι κομψόν τι ἐς αὐτοὺς ἔχουσα κνίζει τὰ μειράκια καὶ δεῦρο ὑπεξελθοῦσα οἰκεῖ τὴν ἐχυρὰν ταύτην οἰκίαν. Καὶ ὁ μὲν αὐλεῖ, ὁ δὲ κροτεῖν φησιν, ὁ δὲ ᾄδει οἶμαι, στεφάνους δὲ ἀναρριπτοῦσι καὶ φιλήματα. Ἰδέαι μὲν οὖν, καθ´ ἃς ἁλίσκονται, μυρίαι· καὶ γὰρ σίδηρον ἔστιν ἐπ´ αὐτοὺς θήξασθαι καὶ φάρμακα ἐπιπάσαι καὶ μικρὸν ἤρκεσε δίκτυον, ὅτῳ ἀπόχρη καὶ σμικρόν τι τῆς ἀγέλης. Ἀρίστη δὲ ἥδε ἡ θήρα· σκοπιωρεῖται γάρ τις ἀφ´ ὑψηλοῦ ξύλου ταχὺς μὲν ἀριθμῆσαι, τὴν δὲ ὄψιν ἱκανός. Βλέπε πρὸς τὴν γραφὴν ἤδη· κατόψει γὰρ αὐτὰ καὶ δρώμενα. Καὶ τοὺς μὲν ᾑρήκασι, τοὺς δὲ αἱροῦσιν. Ces femmes que tu vois sur le rivage poussent des cris ; elles semblent recommander aux chevaux de ne point jeter bas les enfants qui les montent, de ne point prendre le mors aux dents, d'atteindre à la course et de fouler aux pieds les bêtes fauves ; les chevaux entendent, j'imagine, et se montrent dociles. De retour, les chasseurs, après avoir pris leur repas, traversent sur un navire le détroit de quatre stades environ qui sépare l'Europe de l'Asie; ils tiennent eux-mêmes les rames. Déjà ils jettent l'amarre , ils sont reçus dans une maison charmante qui laisse voir des chambres intérieures, des salles pour les hommes , des constructions percées de petites fenêtres ; elle est située au milieu d'une enceinte formée par un mur à créneaux. Mais ce qu'elle offre de plus attrayant, c'est le long de la mer un portique semi-circulaire, bâti de pierres jaunâtres. Ces pierres doivent leur origine à l'action des eaux ; au pied des montagnes de la basse Phrygie jaillit une source chaude qui pénètre dans les carrières, arrose quelques-unes des roches et communique une nature aqueuse aux pierres qui se forment : de là une coloration variée. Là où l'eau s'étend en nappe dormante et jaunâtre, les pierres ont un aspect terreux ; elles ont la transparence du cristal là où l'eau est limpide ; changeant avec chacune des nombreuses fissures qui la reçoivent, elle donne des teintes différentes aux différentes couches de la carrière. Le rivage 259 est élevé ; une légende qui s'y rattache nous est rappelée par allégorie. Une belle jeune fille et un bel adolescent, élèves du même maître, se sont épris d'un amour mutuel, et ne pouvant se jeter en sécurité dans les bras l'un de l'autre, ils ont résolu de mourir; du haut de ce rocher ils se sont précipités dans la mer, étroitement enlacés pour la première et la dernière fois. Éros, sur le rocher, étend la main vers la mer ; voilà comment le peintre nous fait souvenir de la Fable. Celle-ci, par une adroite coquetterie, pique au jeu les jeunes gens et se retire furtivement en ce pays, où elle habite un château fortifié. Vois comme la place est bien défendue : la falaise qui domine la mer se retire et se creuse près du flot ; à sa partie supérieure elle s'avance et suspend sur la mer la maison qu'elle supporte ; si bien que l'eau, vue par dessous cet escarpement , paraît d'un bleu plus sombre, et que la terre, au mouvement près, ressemble de tous points à un navire. Pour être venue dans cette forteresse, elle n'a point découragé ses poursuivants. Ils se sont jetés, celui-ci dans une barque à la proue d'azur, celui-là dans une autre à la proue d'or ; leur flottille étale mille couleurs ; comme de joyeux convives, les voilà parés et couronnés ; l'un joue de la flûte, l'autre bat des mains , un troisième chante, je crois; ils jettent leurs couronnes, ils envoient des baisers ; d'ailleurs tout mouvement des raines est suspendu ; ils relâchent au pied du précipice. De sa maison comme d'un observatoire la jeune femme contemple cette scène, et rit de cet appareil de fête , toute fière d'avoir forcé ses poursuivants non seulement à s'embarquer, mais encore à nager pour aborder. Plus loin tu rencontreras des troupeaux de brebis, tu entendras les bœufs mugir, la syrinx retentira partout à tes oreilles ; voici des chasseurs et des laboureurs, des fleuves, des étangs, des sources, tout est dans cette peinture, ce qui est, ce qui a été, on y voit même comment certaines choses doivent se passer dans l'avenir , et la multitude des objets ne nuit en rien à l'exactitude de la représentation; tout est aussi achevé que si l'artiste n'eût eu qu'un seul objet à peindre. Nous arrivons ainsi à Hiéron. Là tu aperçois, je pense, un temple entouré de colonnes, et à l'entrée du détroit, le fanal élevé qui sert de guide aux navigateurs venant du Pont. Le Bosphore nous a retenus assez longtemps. Pour négliger les détails et ne nous attacher qu'aux choses qui en valent la peine, laissons de côté les pêcheurs à la ligne, ceux qui se servent de la nasse insidieuse, ceux qui retirent le filet ou harponnent avec la fourche à trois dents ; je n'aurais que peu de chose à en dire ; il ne sont là, comme tu le penseras avec moi, que pour jeter de l'agrément dans le tableau. Mais considérons ceux qui prennent des thons : c'est une pêche assez importante pour mériter d'être décrite. Les thons nés dans le Pont-Euxin où ils se nourrissent en partie de poissons, en partie du limon et autres matières fangeuses qu'y charrie l'Ister et le Palus Maeotis et qui en rendent les eaux plus douces et plus potables que celles de toute autre mer ; les thons, dis-je, passent dans la mer extérieure, semblables à une phalange de soldats. Us nagent par colonnes de huit, de seize, de trente-deux, superposés les uns aux autres, et s'étendant en profondeur autant qu'en largeur. On les prend de mille manières différentes ; un fer à la pointe acérée, un appât jeté à la surface de l'eau, un léger filet, ces moyens suffisent à qui se contente d'une petite partie de la bande, mais voici le procédé le meilleur: un homme prompt à compter et doué d'une excellente vue se tient en observation à l'extrémité d'une perche ; il faut qu'il ait les yeux fixés sur la mer et qu'il étende ses regards le plus loin possible.
Une femme enceinte, condamnée à mort, ne subissait sa peine qu'après être accouchée. Quant à ce miroir d'argent, à cette riche sandale dorée, à ces agrafes d'or, ce sont toutes offrandes parlantes; elles me disent qu'elles sont consacrées à Gusto ; cela est écrit d'ailleurs et nous lisons que ces dons viennent des Nymphes. Un combat fut livré près du village de Maria; les Égyptiens demeurèrent vainqueurs; Apriès, ayant été fait prisonnier, mourut étranglé. Cadmos, le fondateur de Thèbes, voulant offrir un sacrifice à la rencontres egyptiennes Athénâ envoya puiser l'eau des jesus à une source consacrée à Arès et gardée par un dragon, fils du dieu. Il creusa au-dessus de la ville, à dix schènes de distanceun lac d'une admirable utilité et d'une étendue in- 61 croyable; car son circuit est, dit-on, de trois mille six elements stades, et sa profondeur, dans beaucoup d'endroits, de cinquante orgyes. Odyssée, XI, 241 et suiv. Amitié et tendresse mutuelle, voilà le mot de l'énigme. Venons maintenant aux Fables, aux Mythes pour conserver le mot grec, essentiel ici ; car le genre du mot imposait le sexe aux personnages allégoriques. Ainsi, ils coupaient les joncs des caballeros, et, en les divi- 70 sant, Ils en faisaient de longs filets qu'ils tendaient le long des bords de la mer, dans une étendue de plusieurs stades, pour faire la chasse aux cailles. Such a picture of rencontres egyptiennes sailing ship in full action is very rare as artists never had an u to see this from the shore. On répond à cela que c'est moins le Nil que les crocodiles qu'il nourrit, qui présentent la meilleure défense du pays; que les brigands de l'Arabie et de la Libye n'osent, à cause du grand nombre de ces animaux, traverser ce fleuve à la nage, et qu'il n'en serait prime ainsi si les chasseurs leur faisaient une guerre trop acharnée.

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